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Paul-Éric Blanrue
à
M. Bruno Bioul
Les Dossiers d'Archéologie
25, rue Berbisey 21000 Dijon
Objet : article de M. Raffard de Brienne paru dans le n° 249 des Dossiers d'Archéologie.
Paris, le 15 décembre 1999.
Monsieur le Chef de la Rédaction
Dans le n°249 des Dossiers d'Archéologie, coordonné par vos soins, vous publiez un article de M. Daniel Raffard de Brienne, président du CIELT, consacré au " suaire " de Turin (p. 122 à 131). Cet article, dans sa partie " scientifique " comme dans l'encart " historique " qui la prolonge, contient un grand nombre d'inexactitudes et d'omissions préjudiciables à l'information de vos lecteurs. Ne voulant pas être exhaustif, j'en ai relevé quelques-unes que je soumets à votre attention :
- Page 125, M. Raffard de Brienne écrit que la datation radiocarbone " n'a aucune valeur scientifique ". Il oublie de préciser que les personnes qui critiquent ces analyses, réalisées avec le concours du Vatican et sous l'égide du British Museum, n'ont aucune compétence pour le faire. Ainsi, aucun spécialiste du carbone 14 n'a remis en cause les résultats accordant au " suaire " une datation médiévale (1260-1390). Jacques Évin, ingénieur au CNRS, directeur du Centre de datations et d'analyses isotopiques à l'université Claude Bernard de Lyon, croyait naguère à l'authenticité du linge; il a déclaré à la suite de l'analyse radiocarbone : " C'est un résultat quatre étoiles. Ce résultat est incontournable. Cela veut dire que le tissu a été tissé au moyen âge; je ne vois pas comment on peut mettre en doute ce résultat-là. ".
On peut d'ailleurs penser que si le Vatican éprouvait le moindre doute sur le déroulement des analyses de 1988, il ordonnerait de refaire une analyse.
- Id°, le tissu prouverait l'origine proche- ou moyenne-orientale de la toile. En fait, Gabriel Vial, expert au Centre international d'études des textiles anciens (Musée des tissus - Lyon), a eu l'occasion de procéder à un examen direct de la relique, en compagnie de Franco Testore, professeur de technologie des textiles à l'École polytechnique de Turin. Tous deux croient à l'authenticité de la relique. Leur conclusion : " Sans mettre aucunement en doute la véracité des faits, il semble que les conclusions qui en ont été tirées : filature dans un atelier ayant également filé du coton ainsi que l'interprétation qui en découlait : provenance moyenne-orientale, demandent d'être reconsidérées. "
Le " suaire " est un chevron de lin à base de serge 3/1. Les seuls exemples que nous ayons de ce type de chevrons sont d'époque récente : l'un d'entre eux, conservé au Victoria and Albert Museum de Londres, est daté du XIVe siècle. L'étude technique du " suaire " ne permet donc pas d'en situer la confection au temps de Jésus - bien au contraire.
- Id°, les pollens prélevés sur ce tissu constitueraient un indice de son origine proche-orientale. A l'origine de cette " découverte " se trouve le défunt Max Frei, qui prétendit avoir identifié des pollens issus de plantes poussant au Proche-Orient, et plus précisément en Palestine. Rappelons qu'à sa mort (1983), Frei n'avait pas publié ses résultats dans une revue scientifique.
Le Dr. Steven Shafersman, micropaléontologue au Département de géologie de l'université de Miami, est d'avis que Frei a falsifié son dossier. Sur les illustrations que Frei projetait à son public - tel que le cliché que vous publiez en page 125 -, " chaque espèce de pollens était représenté par quatre ou cinq spécimens parfaitement conservés, comme s'ils étaient neufs ". Pourquoi Frei n'a-t-il jamais montré les spécimens qu'il avait prétendument trouvés sur le " suaire ", mais seulement des pollens de référence?
Le travail de Frei est à ce point suspect qu'il ne peut plus être brandi, ni comme preuve ni comme indice de quoi que ce soit.
- Page 126, la présence d'un lepton sur l'oeil du personnage témoignerait en faveur de l'antiquité de la relique. Problème : seul l'homme à l'origine de cette " découverte ", le défunt père Filas, docteur en théologie, l'a vu. Samuel Pellicori, physicien et partisan de l'authenticité du " suaire " explique : " La nature pointillée de l'image permet à l'esprit de " connecter des points " et de trouver des lettres partout. On peut trouver les initiales de son propre nom si l'on regarde assez bien! ". Autre sindonologue, le photographe du STURP Barrie Schwortz, qui a pris des clichés du " suaire " en 1978, estime que " que l'armure du tissu est beaucoup trop grossière pour déterminer la subtile et minuscule inscription d'une ancienne pièce de monnaie (...); les " images " qu'il trouva sont des artefacts de grains photographiques groupés, causés par le recopiage et le rehaussement de la structure du grain par la première génération de photographes. "
La théorie des pièces de monnaie recouvrant les yeux des juifs du Ier siècle n'est d'ailleurs supportée par aucun document.
- Page 128, M. Raffard de Brienne signale que le " sang " retrouvé sur le " suaire " est du groupe AB. C'est doublement inexact. En 1973, le laboratoire du Pr Frache, directeur de l'Institut de médecine légale de l'université de Modène, reçut onze échantillons de fils sur lesquels il fit avec son équipe des tests destinés à mettre en évidence la présence de sang (test de la fluorescence UV, test de la benzidine, microspectrophotométrie...).Tous les résultats furent négatifs, y compris ceux des tests destinés à déterminer si ces granules appartenaient à l'espèce humaine, ainsi que leur groupe sanguin.
Ce sont les partisans du " suaire ", regroupés au sein du STURP (association américaine pro-" suaire "), qui ont déclaré les premiers avoir trouvé du " sang " sur la relique.
Leurs résultats indiquent cependant qu'à la substance étudiée manquent le chlore et surtout le potassium, composant essentiel du sang. De plus, le pic du calcium est beaucoup trop haut par rapport à celui du fer. Enfin, le spectre infrarouge du " sang du suaire " est totalement différent de celui fourni par du sang véritable, comme il apparaît dans le compte rendu d'Acetta et de Baumgart.
John Heller (+ 1995) et Alan Adler, du STURP, prétendirent eux aussi avoir trouvé du " sang sur le suaire ". Mais ils n'ont conduit aucun test spécifique en établissant la présence. La porphyrine qu'ils ont mis en évidence se trouve non seulement dans le sang - mais également dans la chlorophylle... De même, la bilirubine, les protéines et l'albumine ne sont pas seulement des composants du sang - on en trouve dans nombre d'autres substances. Leur présence, à elle seule, ne prouve rien.
Le Dr McCrone a procédé à des tests chimiques spécifiques (benzidine, tests de Takayama et de Teichman, phénolphtaléine et fluorescence UV après traitement à l'acide sulfurique) qui, comme en 1973, se sont tous révélés négatifs.
Un moyen simple permet de vérifier si l'on est ou non en présence de sang: vérifier l'indice de réfraction de la substance. Le sang sous toutes ses formes et tous ses dérivés organiques ont un indice de réfraction inférieur à 1.60. Or, McCrone n'a observé dans le " sang du suaire " aucun indice faible - ce qui constitue une preuve supplémentaire de l'absence de sang véritable.
- Id°, l'image du " linceul " ne serait " due à aucune activité humaine ", écrit M. Raffard de Brienne. C'est à nouveau profondément inexact. La technique de l'impression ou du frottis donne un résultat comparable. L'Américain Joe Nickell en a fait la démonstration. Il a trempé un linge dans de l'eau chaude, l'a appliqué sur un bas-relief, puis a frotté le tissu sur les parties qu'il voulait imprimer avec de l'oxyde de fer. Le résultat de son frottis est absolument comparable au " suaire "; il est consistant avec les capacités d'un artiste médiéval; et il présente les caractéristiques générales de l'image du " suaire " (négativité non photographique, pas de traces de pinceau, tridimensionnalité, résistance à la chaleur, etc.).
J'ai moi-même réalisé par cette technique un " suaire " de Zeus - et de Mickey.
Mais y a-t-il de l'oxyde de fer sur le " suaire "? Le Dr Walter McCrone, directeur du McCrone Research Institute, laboratoire spécialisé dans la détection scientifique des faux en art, a reçu une série de trente-deux échantillons prélevés sur le " suaire " à l'aide d'un ruban adhésif spécial. Quatorze provenaient de zones sans image (zones-témoins), douze de l'image du corps, six des zones du " sang ". Il les a étudiés au microscope à lumière polarisée. Sa conclusion est sans appel : " l'image entière a été appliquée sur le linge par un artiste très habile et bien informé ". L'artiste a utilisé un pigment d'oxyde de fer (ocre rouge et vermillon) associé à un médium à base de collagène.
- Page 130-131. Une omission impardonnable de M. Raffard de Brienne. Le lecteur des Dossiers d'Archéologie ignorera qu'au début du XXe siècle, le chanoine Ulysse Chevalier a exhumé des archives des textes qui prouvent de manière incontestable - bien avant le C14 - que la relique est une peinture du XIVe siècle. L'artiste qui l'a confectionnée avait avoué sa supercherie à l'évêque de Troyes, Mgr Henri de Poitiers. Le pape Clément VII avait d'ailleurs écrit à ce propos, le 6 janvier 1390 : " Nous statuons et ordonnons (...) (que) celui qui fera l'ostension devra avertir le peuple au moment de la plus forte affluence et dire à haute et intelligible voix, toute fraude cessant, que ladite figure ou représentation n'est pas le vrai Suaire de Notre Seigneur Jésus-Christ, mais qu'elle n'est qu'une peinture ou tableau du Suaire qu'on dit avoir été celui du même Seigneur Jésus-Christ. "
J'espère que ces quelques rectifications seront portées à la connaissances de vos lecteurs.
Je reste naturellement à votre disposition pour tout renseignement complémentaire.
Veuillez agréer, Monsieur le Chef de la Rédaction, l'expression de mes meilleurs sentiments.
Paul-Éric Blanrue,
auteur de Miracle ou imposture?
L'histoire interdite du " suaire " de Turin,
Golias-EPO, 1999.
PS : J'ai demandé à mon éditeur de vous faire parvenir au plus vite un exemplaire de mon dernier ouvrage, dans lequel se trouvent toutes les références auxquelles je fais allusion dans cette lettre.
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