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Triangle des Bermudes : la patrouille de la mort

Dossier réalisé par Paul-Éric Blanrue
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Disparitions inexpliquées

Le livre de Charles Berlitz

Selon Charles Berlitz, le plus célèbre des « bermudologues », « ce secteur occupe une place primordiale, troublante, voire inimaginable dans l’inventaire mondial des mystères non encore élucidés ». Des centaines d’avions et de bateaux s’y sont « littéralement évaporés depuis 1945 », « plus de mille vies humaines » y ont été perdues « sans qu’aucun corps ou débris de naufrage ait jamais été retrouvé ». Nulle part ailleurs, « les disparitions inexpliquées sont aussi nombreuses, aussi bien établies, aussi soudaines, et accompagnées de circonstances aussi inhabituelles dont certaines écartent le facteur coïncidence, le repoussant jusqu’aux limites du possible ». Défaillances inexpliquées des instruments de navigation, brouillards blancs et mouvants déstabilisant les voyageurs, l’énigme est totale. Les experts du domaine de la marine ou de l’aviation n’auraient aucune réponse sérieuse à y apporter. Sale affaire...

Diverses « explications » ont été soulevées par des auteurs autoproclamés « spécialistes ». Des ovnis enlèveraient les navigateurs et les conduiraient dans une autre dimension de l’espace ; un cristal géant, provenant des fonds marins où giseraient les ruines de l’Atlantide, émettrait des rayons mortels qui désintégreraient ceux qui traversent la zone ; une déviation espace-temps ou des trous noirs engloutiraient les voyageurs, etc.

Ce qu’on appelle le « triangle des Bermudes » est une zone imaginaire de l’Atlantique occidental, au large de la côte sud-est des États-Unis, délimitée au nord par l’archipel des Bermudes, à l’ouest par la Floride, au sud par Porto Rico.

La tragédie du vol 19

La tragédie sur laquelle s’est édifié le triangle maudit est la disparition des cinq TBM Gruman Avengers, de la patrouille 19. Le 5 décembre 1945, vers quatorze heures, les bombardiers-torpilleurs décollent de la station navale de Fort Lauderdale sous la direction du lieutenant de vaisseau Charles Taylor. Quatorze hommes d’équipage. L’exercice doit durer au maximum deux heures. Temps magnifique au décollage. Ils se dirigent vers le sud.

Premier exercice : le torpillage d’une épave au large de l’île de Bimini. Réussie. Ils poursuivent leur route vers l’est, puis virent le cap au nord en direction de la Grande Bahama. Leur plan de vol prévoit qu’après avoir survolé l’île, ils reviennent sur Ford Lauderdale, au sud-ouest. Il leur reste à parcourir environ cent vingt milles nautiques, soit deux cent seize kilomètres. A ce moment, Taylor lance son premier message : « Je ne sais plus où nous sommes! (...) mes deux boussoles sont hors d’usage ». Il se croit au-dessus des Keys de Floride. « Si vous êtes dans les Keys, placez le soleil sur votre aile gauche et volez jusqu’à Miami! », lui lance l’instructeur Cox, en vol, qui a intercepté le message. Mais Taylor pense avoir retrouvé son chemin et refuse qu’on vienne chercher les Avengers.

L’instructeur alerte Fort Lauderdale, explique les problèmes rencontrés par les patrouilleurs. Les stations de repérage goniométrique tentent de repérer les avions en difficulté. Les messages reçus sont la plupart du temps inaudibles. Vers 17h20, on perçoit un message de Taylor qui évoque un possible amerrissage. Vers 19h30, deux hydravions PBM Martin Mariner s’élancent successivement de la base de Banana River. Vingt minutes après, l’un de ces avions, le T49, disparaît en mer, avec à son bord treize hommes d’équipage! L’autre, bredouille, doit regagner sa base. La météo est devenue très mauvaise. À la même heure, les Avengers, à court de carburant, ne sont toujours pas rentrés. Dans la soirée, le commandant de l’aéronavale des États-Unis annonce que vingt-sept hommes sont portés manquants. Les recherches se poursuivront, mais on ne retrouvera jamais ni les corps ni les épaves ni les débris des appareils.

Une patrouille d'Avengers

Les journalistes s’em-mêlent.

Les journalistes à sensation se jettent sur la nouvelle et font monter la mayonnaise. Ils prétendent que les pilotes étaient tous des officiers chevronnés. C’est inexact : s’ils étaient bien officiers, ils avaient obtenu leurs grades dans d’autres armes. A part Taylor, leur moniteur, ils étaient tous « élèves pilotes », qui plus est formés par des cours accélérés pour cause de « temps de guerre ». Quant à Charles Taylor, vingt-huit ans, bien qu’ayant à son actif de nombreuses heures de vol, il n’était pas ce que l’on peut appeler un expert. A deux reprises, il avait dû se poser en mer en catastrophe à cause d’erreurs de navigation. La mission du 5 décembre 1945 était l’une des premières qu’il effectuait depuis Fort Lauderdale, où il avait été muté le 21 novembre précédent.

Problèmes particuliers à ce type de missions, eux aussi passés sous silence : elles se déroulent entièrement au-dessus de l’eau, « à l’estime », et sauf incident majeur, les pilotes y sont astreints au silence radio et doivent communiquer par gestes, sous peine de sanctions disciplinaires. Pas si « facile » que le disent ceux qui refont l’histoire tranquillement assis à leur bureau.

Toujours plus à l’est

Le météorologue belge Jules Metz a consacré la quasi-totalité d’un livre à l’analyse du vol 19. Se plongeant dans le rapport de la Commission d’enquête de la marine américaine, il a retracé sur une carte le parcours des Avengers en tenant compte des caps indiqués par les messages radios et des relevés des centres de contrôle provenant des émissions de Taylor, entre 17h12 et 18h05. Il a découvert que vers 18h les cinq avions se trouvaient en fait, non pas au sud de Fort Lauderdale, mais au nord des Bahamas ! Les conditions météo s’étaient considérablement dégradées : les nuages masquaient les Bahamas, seul point de repère des pilotes, les précipitations diminuaient dangereusement la visibilité. Taylor avait compris qu’il s’était trompé de route. Mais il croyait avoir survolé les Keys de Floride, au sud de la base, alors qu’il était passé au-dessus de la côte ouest de l’île d’Andros, au sud de la Grande Bahama, dont les hauts fonds ressemblent à ceux des Keys. Les forts vents qui soufflaient du nord-ouest avaient fait dévier la formation vers l’est. Taylor s’était alors dirigé vers le nord-est, laissant la grande Bahama derrière lui. Ce qui explique la mauvaise réception des messages de la patrouille, puisque celle-ci s’éloignait de plus en plus du continent.

Taylor, craignant que les élèves ne commettent des erreurs fatales, avait pris la tête de l’escadrille. Mais il multiplia les erreurs. Malgré les conseils de la base, il ne passa pas le commandement à l’un des ailiers, et refusa, par peur du ridicule sans doute, de se brancher sur la fréquence de détresse, ce qui lui aurait permis de rester en contact avec les stations terrestres. Il ne voulut pas non plus mettre cap à l’ouest, car selon ses estimations (fausses), il risquait de se perdre dans l’immense golfe du Mexique. Il suivit donc le cap nord-est dans l’espoir de retomber sur le continent : « Je suggère que nous volions plein est jusqu’à la panne d’essence. Nous avons plus de chance d’être récupérés si nous sommes près de la terre! » Mais, de là où ils se trouvaient réellement, la route vers le nord-est ne faisait qu’entraîner Taylor et ses hommes vers la haute mer

Rien d’étonnant, dans ses conditions, que Taylor ait cru que ses boussoles étaient déréglées puisqu’il était persuadé (à tort) d’être sur le bon chemin et que ses instruments lui indiquaient (à raison) des coordonnées qui ne correspondait pas avec son avance. Lorsque les jauges indiquèrent, vers 19h15, que les réserves de carburant étaient à sec, la tentative d’amerrissage était désespérée : la mer était déchaînée et, depuis 17h30, l’obscurité complète (nuit sans lune). Les lames de fond signalées n’ont fait qu’une bouchée des cinq patrouilleurs et de leur équipage. Le Gulf Stream a concouru à éparpiller les éventuels débris.

La disparition du Mariner est moins mystérieuse encore. A 21h12, le centre des opérations de Miami envoie une information à la station de Banana River : « Une importante explosion a été observée... Les flammes dues à cette explosion ont duré plusieurs minutes ». La capitaine du S/S Gaines Miles a vu l’avion prendre feu en vol et l’équipage du navire ont observé les débris de l’appareil, impossible à récupérer à cause du gros temps. L’accident a pu être suivi par le radar du porte-avions Solomons.

Les Mariner avaient un surnom : « réservoirs de carburant volants ». Compte tenu des émanations qu’ils dégageaient, une étincelle ou une cigarette mal éteinte pouvaient suffire à les faire sauter.

L’avis des assurances

Lawrence David Kusche a étudié tous les grands cas de disparition survenus dans cette zone prétendument diabolique. Au bilan, les quelques rares cas non résolus sont ceux à propos desquels « on n’a pu trouver de renseignements ». Pour le reste, il s’agit d’accident normaux ou de mystifications d’auteurs de science-fiction refoulés ou de copieurs vénaux qui n’ont vérifié aucun fait et rapportent des ragots de troisième main. Contrairement à ce qui est souvent rapporté, la plupart des disparitions ont eu lieu dans de mauvaises conditions atmosphériques, « dans plusieurs cas même, des ouragans publiquement annoncés à l’époque en furent les causes ». Les disparitions ne sont ni plus nombreuses ni plus mystérieuses dans le « triangle » que dans les autres parties de la terre, océans ou terres émergées. Pour la célèbre compagnie d’assurance Lloyd’s, dont Kusche a examiné les archives en profondeur, « le triangle des Bermudes n’existe pas » !

PEB

Pour en Savoir plus
  • The Bermuda Triangle Mystery - Solved, Lawrence David Kusche, Harper & Row (1975) réédition Prometheus Book (1986)
    Aussi disponible en français : Le triangle des Bermudes - la solution du mystère, L'Etincelle, Montréal (1976)

  • The Disappearance Of Flight 19, Lawrence David Kusche, Harper & Row (1980)

  • La vérité sur le Triangle des Bermudes, Jules Metz, Les énigmes de l'univers, Robert Laffont (1988)