Cercle Zetetique

Gérard Croiset, Puissant Psychique Paranormal aux Dons Divins de Devin*

Dossier réalisé par Augustin Vidovic.

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Parmi la kyrielle de "détectives psychiques" ayant, les uns après les autres, été testés pour leurs superpouvoirs, s'il fallait en choisir un seul, ce serait sans problème Gérard Croiset. Lorsqu'il est mort en juillet 1980, partout dans sa Hollande natale les journaux faisaient son éloge funèbre. Les sceptiques hollandais eux-mêmes se joignirent aux condoléances, et l'on pouvait lire à son sujet des qualificatifs tels que "Le psychique qui n'a jamais déçu personne", "Le magicien d'Utrecht", ou même "Le Mozart du monde psychique". Au vu de tous les faits rapportés à son sujet, on pouvait conlure qu'il s'agissait d'un psychique surdoué.

On peut placer l'origine de la carrière de détective psychique de Croiset au jour où, en 1945, selon ses notes de cours, il assista au cours de "parapsychologie" du professeur Whilhem Heinrich Carl Tenhaeff à l'Université d'Utrecht. Après la séance de cours, Croiset demanda à être testé comme cobaye par le professeur. Le test permit à ce dernier de "vérifier" que Croiset avait un don psychique rare. Ainsi commença une longue collaboration de plus de trente ans entre les deux compères, Tenhaeff protégeant Croiset de son aura respectable de "premier professeur de parapsychologie président une chaire à l'Université", et Croiset lui fournissant de la matière de base pour ses innombrables et illisibles ouvrages. Il n'est pas inopportun à ce stade de constater que l'on ne connaît la grande majorité des exploits de Croiset que par une unique source d'informations : Tenhaeff, et comme nous allons le voir, si l'on se réfère uniquement à Tenhaeff sans vérifier, on comprend l'admiration que les contemporains de Croiset pouvaient lui porter.

Nombreux sont les cas pour lesquels Croiset aurait permis de trouver une solution qui sont inconnus, mais parmi ceux que Tenhaeff a présentés comme ceux pour lesquels Croiset aurait permis l'identification de criminels, considérons entre autres trois cas "béton", souvent pris en référence par les "parapsychologues" pour prouver les superpouvoirs de Croiset (et par voie de conséquence, légitimer leur croyance). Bien sûr, ces cas seront suivis d'une vérification, en accord avec la devise du Cercle Zététique "Le droit au rêve à pour pendant le devoir de vigilance".

  1. Droit au rêve :
  2. Devoir de vigilance :

Croiset


Cas Béton 1: Le marteau de Vilden (version Tenhaeff)

Une jeune fille vivant dans les environs de la ville hollandaise de Vilden fut attaquée. Un attaquant, sortant soudainement d'une joaillerie, la frappa avec le marteau qu'il portait, à la nuque et au bras. La police contacta Tenhaeff, qui se rendit sur place avec Croiset. La fille se trouvant alors hospitalisée, il leur fut impossible de la rencontrer mais, lorsque Croiset prit en main le marteau ayant servi à l'agression, il commença aussitôt à décrire l'assaillant.

L'agresseur est un homme de haute stature aux cheveux noirs. Il est âgé d'environ 30 ans. De plus son oreille gauche a une forme bizarre.

Continuant à toucher le marteau, Croiset se mit à décrire l'environnement d'icelui.

Le marteau n'est pas lié au lieu où se trouve l'agresseur. Son possesseur est en fait un homme âgé de 55 ans environ, qui vit dans une petite maison blanche. L'agresseur vient lui rendre visite de temps en temps. Cette petite maison se trouve dans le voisinage, elle fait partie d'un bloc de trois maisons identiques.

Des mois plus tard, la police arrêta le coupable, qui se trouvait être un homme âgé de 29 ans. Il avait l'oreille gauche enflée, comme l'avait prédit Croiset. Concernant le marteau, la police, après enquête, découvrit que l'agresseur l'avait emprunté à une connaissance, laquelle vivait, tout comme Croiset l'avait annoncé, dans une petite maison blanche.

Bien sûr, on cherche toujours ce genre d'agresseur brutal, et dans ce cas précis Croiset avait donné des informations particulièrement propres à éclairer la piste vers le coupable.

Dure réalité 1: Le marteau de la déveine

Une telle accumulation de faits extraordinaires dans un seul cas ne peut qu'exciter la curiosité de ces infâmes "sceptiques bornés", c'est ainsi que le psychologue C.E.M. Hansel, de l'Université de Wells fut pris de l'irresistible besoin d'enquêter sur cette affaire. Il alla donc en quête de vérité au poste de police concerné, celui de Vilden, et ce qu'on lui y dit fut que du début à la fin, toute cette histoire n'était qu'une invention.

Par exemple, il n'existait dans les environs du lieu de l'agression aucune joaillerie, et la femme blessée, bien qu'ayant été frappée deux fois à la tête, n'avait à aucun moment été frappée à la nuque ou au bras. Elle n'avait d'ailleurs pas été hospitalisée, et par dessus le marché la police n'avait jamais demandé à Croiset de venir ! Ce n'était pas à la requête de la police que Croiset était venu, mais à celle d'un membre de la famille de la victime.

De plus, sans rien demander à Croiset, la police avait pu rapidement remonter la piste. Le suspect était un exhibitionniste connu dans les environs. Gros problème additionnel (pour Croiset) : les oreilles de ce suspect n'avaient rien de spécial. Quant au marteau dont il s'était servi pour l'agression, on n'a jamais sû où il se l'était procuré (mais ce détail n'a pas une importance capitale, comme on peut s'en douter). Pour résumer, tout ce que Croiset avait bien pu raconter n'était que pur fantasme, de A à Z.

Dommage...

Cas Béton 2: Le garçon noyé de Utrecht (version Tenhaeff)

Février 1951, à Utrecht, en Hollande, l'occasion de la disparition d'un garçon de 7 ans, le professeur de l'école que celui-ci fréquentait téléphona à Croiset, qui vivait alors dans la ville de Ensehede, située à 150 km d'Utrecht, pour lui demander de le rechercher. Une telle distance n'était pas un obstacle pour les superpouvoirs de Croiset, qui obligea très volontier ce monsieur.

Je peux très distinctement voir la forme de cet enfant. Je vois une barraque de l'armée et un stand de tir. Aux alentours, je vois de l'herbe qui pousse. Au milieu de cette herbe je vois une colline. Je peux aussi voir de l'eau pas loin. L'enfant est tombé dans cette eau et s'est noyé. Le corps a été découvert par un homme pilotant un petit bateau. Il porte un chapeau autour duquel est passée une ceinture colorée. Si vous venez à Ensehede en partant d'Utrecht en voiture, vous pourrez trouver cet endroit sur le côté gauche de la route.

Non seulement Croiset avait pu connaître les circonstances de la disparition du garçon, mais en plus il avait même pu donner une description détaillée de la découverte de son cadavre. Ensuite, tout se passa comme Croiset l'avait prédit.

Par la suite, et ce durant une quarantaine d'années, à ce qu'on dit, Croiset devait avoir affaire à une dizaine, voire une douzaine de cas chaque semaine, ce qui fait un total de plus de 20.000 cas durant sa vie ! Fabuleux, non ?

Dure réalité 2: Le garçon noyé dans la triche

Piet Hein Hoebens, journaliste d'investigation au quotidien Hollandais De Telegraaf et membre de la section hollandaise du CSICOP, a voulu creuser un peu cette histoire de garçon noyé près d'un stand de tir. Il a pu relever, à sa grande surprise, quelques différences gênantes entre les faits et ce que Croiset avait raconté.

Tout d'abord, le professeur d'école qui avait téléphoné à Croiset connaissait celui-ci personnellement, et avait déjà discuté deux fois avec lui avant ce coup de téléphone. Le jour suivant l'incident, Croiset l'avait assuré au téléphone qu'il ne fallait pas s'inquiéter. Toutefois, trois jours après sa disparition, le gamin ne s'étant toujours pas montré, et n'étant toujours pas rentré chez ses parents, Croiset revint sur ses premières déclarations et se décida pour un accident. Ooooh, un enfant de 7 ans qui disparaît et ne reparaît pas trois jours de suite, il faut vraiment un don magique extraordinaire pour parler d'accident !

De plus, l'endroit où l'on avait retrouvé son corps n'était pas, comme Croiset l'avait annoncé, près d'une base militaire, mais beaucoup plus près du centre d'Utrecht. Les environs de la base militaire étaient en fait le point où l'on avait perdu la trace du garçon. Sachant que le professeur d'école avait parlé au téléphone avec Croiset du témoignage selon lequel on avait aperçu le gamin près de la base militaire, il n'y a plus rien de mystérieux dans le fait que Croiset ait eu cette "vision". En fait, le fait même que Croiset aurait prédit quoi que ce fût au sujet de l'incident au téléphone trois jours après les faits est en soit extrêmement douteux.

En effet, Hoebens est allé interviewer le détective de police qui avait eu cette affaire en charge. Celui-ci, bien que se souvenant de tout dans les détails, a certifié que personne ne l'avait contacté pour le mettre au courant des révélations de Croiset. Si vraiment il avait donné une description du lieu avec une telle profusion de détails, il aurait semblé normal de contacter la police pour demander une enquête sur place, n'est-ce pas ?

Ah, flûte ! Encore râté !

Cas Béton 3: Le pyromane de Woudrichem (version Tenhaeff)

Novembre 1979, la région de Woudrichem, Hollande, est terrorisée par un pyromane. Le chef de la police, M. Eekhof, en appelle à Croiset pour trouver le coupable. L'enquête de la police, en effet, piétinait et l'on désespérait... Mais voilà-t-y pas que super-Croiset, avec son radar incorporé, réussit à laver plus blanc que blanc :

Le pyromane est un homme. Son métier l'amène à porter l'uniforme, il vit dans un appartement. De plus, il me semble voir une relation entre lui et des jouets représentant des avions.

Ecoutant ce que Croiset disait, le chef Eekhof reçut un grand choc. Il comprit immédiatement de quelle personne Croiset parlait. Il fit immédiatement la relation avec un sergent-chef de son propre poste de police. Pourtant dès le début, Eekhof avait décidé de ne pas faire confiance à ce que dirait Croiset. Le sergent-chef en question ne fut pas arrêté. Les incendies criminels continuèrent donc jusqu'en mars 1980. Alors, quelques semaines avant la mort de Croiset, Tenhaeff alla à la rencontre de Eekhof. Le contenu de la conversation est connu parfaitement, puisque Tenhaeff l'enregistra sur bande vidéo, à ce qu'il dit. En bref, le fait que Croiset avait découvert le coupable est assuré par le chef de la police en charge, qui signa un protocole concernant les bandes vidéo.

Dure réalité 3: Le pyromane vous dit m...

L'histoire de ce pyromane est d'autant plus "béton" que cette fois-ci, Tenhaeff affirme être en possession de l'enregistrement sur bande magnétique des exploits de son poulain. La vérification n'en sera donc qu'une simple formalité, n'est-ce pas ?

Il se trouve que, justement, Piet Hein Hoebens a voulu en avoir le coeur net. Il s'est rendu au poste de police de Woudrichem et s'est adressé directement à l'un des acteurs principaux, le commandant Eekhof lui-même...

Surprise, Eekhof n'était pas au courant que l'histoire de l'exploit de Croiset à Woudrichem faisait bondir de joie les "parapsychologues" hors Hollande. En effet, comme à son habitude, TenHaeff avait pris soin de ne pas faire paraître cette version quelque peu exagérée de l'histoire en Hollande, pour la réserver à l'étranger d'où, grâce à la barrière de la langue, elle ne filtrerait que très difficilement vers le pays où vivaient ceux qui étaient le plus à même de faire cette petite enquête de routine. Au même moment, Tenhaeff faisait paraître la version "soft" de l'histoire dans son Tijdschrift, qui qui ne mentionnait pas les détails les plus incroyables.

Eekhof, donc, découvrit le récit "export", et en bon policier, le parcourut consciencieusement.

Après sa lecture, il regarda Hoebens et annonça que ce récit contenait des contrevérités flagrantes. Et, pour appuyer ses dires, il alla chercher l'enregistrement sur bande magnétique de ce que Croiset avait déclaré. Voici la liste des mensonges les plus grossiers :

  • La consultation se passa en fait le 15 novembre 1977, plus de deux ans avant la date donnée par Tenhaeff. Le sergent-chef ne fut pas arrêté avant mars 1980.

  • A aucun moment Croiset n'avait mentionné un "uniforme", ce qui aurait été le trait le plus frappant.

  • Croiset ne mentionna pas des "avions jouets", bien qu'il parlât d'"avions", "assis dans un avion", "aéroports" et "construction d'avion". Lorsque Eekhof lui avait demandé s'il aurait pu s'agir de modèles réduits, Croiset avait commençé par dire "oui, peut-être" mais s'était ravisé aussitôt pour dire, catégorique : "Non, ce sont de gros avions". Il est vrai que le sergent-chef aimait fabriquer des maquettes d'avions, mais celles-ci avaient d'abord été mentionnées par Eekhof, pas par Croiset, de sorte que s'il s'était agit d'un succès de superpouvoirs psychiques, cela aurait été un succès du commandant, pas de Croiset !

  • Croiset, qui lors d'une tentative précédente de "voir" le malfrat avait orienté la police sur une fausse piste, avait finalement identifié le pyromane sur une photographie, qu'il avait montrée à Eekhof. Cette personne, que la police suspectait déjà, n'était pas le sergent-chef, qui devait plus tard avouer.

  • Eekhof n'avait pas du tout été choqué par les révélations de Croiset, pour la simple raison qu'il était évident que Croiset n'avait à aucun moment désigné son collègue policier, au milieu de sa confusion. Le sergent-chef, qui ne vivait pas dans un appartement, ne commença à être suspecté que des mois plus tard, pour des raisons totalement étrangères aux "visions" de Croiset.

  • Eekhof démentit catégoriquement avoir signé un protocole avec Tenhaeff ; il n'avait même jamais vu ce protocole.

Avant de faire paraître les résultats de son enquête dans De Telegraaf et Courant Nieuws van de Dag (18 octobre 1980), Hoebens, en journaliste consciencieux, téléphona à Tenhaeff pour avoir ses commentaires. Celui-ci l'insulta copieusement avant de raccrocher.

Conclusion : Des cas "bétons" complètement bidons

... Et le petit père Croiset est censé en avoir fait plus de 20.000 ! Sachant que ceux-ci sont la crème de la crème de son palmarès, on imagine sans mal la qualité des autres... Ah, dure réalité !


Références

  • The blue sense, Arthur Lyons, Marcello Truzzi (Mysterious Press, 1991)

  • Psychic Sleuths, édité par Joe Nickell (Promotheus Books, 1994)

  • The Mystery Men From Holland, 2 : The Strange Case of Gérard Croiset, Piet Hein Hoebens in Zetetic Scholar 9, 1982

  • Gérard Croiset : Investigation of the Mozart of "Psychic Sleuths"-part 1, Piet Hein Hoebens in Skeptical Inquirer, Automne 1981

  • Croiset and Professor Tenhaeff : Discrepancies in Claims of Clairvoyance-part 2, Piet Hein Hoebens in Skeptical Inquirer, Hiver 1981

  • Shin tondemo chôjôgenshô 56 no shinsô ("tondemo files 56"), Minakami Ryûtarô, Shimizu Kazuo, Kamon Shôichi (Ohta shuppan, 2001)


*Alitération copyright Henri Broch in Le paranormal, Point Sciences, Ed. Seuil 1985, page 122