Cercle Zetetique

Enquêtes Z 14 : Livres


- Sectes et Démocratie (Françoise Champion et Martine Cohen - Le Seuil - 1999).


Cet ouvrage a déclenché une polémique à sa sortie entre les auteurs et les associations de lutte contre les sectes, comme l’ADFI et le CCMM, ces dernières considérant que l’ouvrage est pro-sectes. Michel Giret nous livre son analyse. Vos réactions sont les bienvenues.


Le titre n’annonce que peu le contenu du livre. Sectes, religions et hiérarchie eut été plus judicieux. Les auteurs abordent le phénomène sectaire sous l’angle de la sociologie.

Si les suicides-massacres collectifs comme celui du Temple du Peuple au Guyana ou celui de l’Ordre du Temple Solaire ont frappé les esprits, heureusement ces cas sont rarissimes et ne doivent pas jeter le discrédit sur l’ensemble des mouvements sectaires (faut-il rappeler ici la recherche du martyre chez les premiers chrétiens ou les fous d’Allah actuellement?)

Dans leur longue introduction, Françoise Champion et Martine Cohen, à juste titre, signalent que la perte d’emprise des institutions se fait non pas au profit de l’athéisme, de l’agnosticisme ou du rationalisme, mais au profit d’une religiosité diffuse, « à la carte », fondée sur la recherche individuelle du bricolage personnel, ouverte à toutes les hétérodoxies: réincarnation, voyance, astrologie, communication avec des esprits et des êtres surnaturels en tous genres. C’est dire que non seulement la religion est remise en cause, mais la science aussi. D’autre part, ces auteurs signalent que dans les associations « anti-sectes », type ADFI ou CCMM, les sources ne proviennent que d’anciens adeptes aigris, ou de parents inquiets ayant des proches dans ces communautés; mais lorsque les sociologues interrogent les membres de ces dernières, ceux-ci, pratiquement toujours, se déclarent parfaitement heureux. Qui croire?

Sous le titre «Sectes, médias, fin des temps», Roland J. Campliche estime qu’en abordant le sujet des sectes, nous sommes confrontés au problème posé par la représentation que nous nous faisons du religieux « non correct » découlant de « l’ordre post-New Age ».

Les auteurs s’entendent en général à ce qu’il ne faille pas nier les possibles pratiques répréhensibles de types sexuelles ou guérisseuses qui doivent être sous surveillance.

On apprend qu’avant de commencer ses travaux, la commission parlementaire qui a abouti au rapport de 1996 sur les sectes, avait, dès l’abord, écarté certaines congrégations religieuses. Peut-on se permettre de se demander si certains ordres monastiques, cloîtrés, en prière perpétuelle et se relevant la nuit pour se faire, ne travaillant que pour leur communauté et dans le silence (trappistes), avec parfois une demi-heure d’information hebdomadaire distillée par le père prieur, ne font pas partie, de fait, de ce qu’il y a de plus répréhensible désigné par le fameux rapport?

Pour Massimo Introvigne1, considérer tout mouvement apocalyptique ou millénariste comme dangereux n’est pas acceptable, et pourrait générer des campagnes contre des groupes parfaitement inoffensifs. Cet auteur va jusqu’à utiliser le terme « d’activisme anti-sectes », mais rapporte une belle image emprunté à Antoine Faivre : « Un dieu, comme un enfant, ne devrait pas être laissé seul quand il ou elle joue ».

Silvio Ferrari signale que plusieurs États européens imposent une structure démocratique aux partis politiques et aux syndicats mais non aux Églises; ou encore que la liberté d’opinion est garantie par l'État à l’intérieur de beaucoup d’organisations sociales mais non dans les communautés religieuses : le dissident a seulement le droit de les quitter. Éclairant et surprenant, non - mais instructif pour la réflexion.

On y apprend que si les grandes religions sont universalistes, les « sectes » sont élitistes vis-à-vis de leurs seuls membres et certaines ne font aucun prosélytisme, ne réservant qu’à leur petit noyau d’adeptes privilégiés d’être « sauvés ».

La majorité des auteurs du livre s’entendent en général à ne pas utiliser le terme de « secte » qui est par trop péjoratif, ni celui de « religion » qui pourrait conférer une « aura » à un groupe qui ne la mérite pas, mais préfèrent le vocable de « nouvelle religion minoritaire » (NRM). Cependant Francis Messner propose celui de « religion socialement controversée ». Dans ces cas de figures, où peut-on donc placer l’ex-secte dite du Patriarche, classée comme telle par le rapport parlementaire de 1996, car elle n’a rien à voir avec une quelconque religiosité (si ce n’est le gourou), et est seulement « guérisseuse ». Peut-être pourrait-on proposer le terme de « croyance socialement controversée », car dans cette formule n’importe quel groupement peut être inclus?

(M.G.)

L’ouvrage Sectes et Démocraties est disponible dans les bibliothèques universitaires de Montpellier (BIU/L), Perpignan (BU/L), Bordeaux (BIU/V, BIU/R), Pau (BU/L), La Rochelle (BU), Paris X, Paris VIII, Paris XIII, Paris III et à l’IEP de Grenoble (FD).


- Les Dossiers scientifiques de l'étrange (Yves Lignon - Michel Lafon - 1999).


Lire un livre de Yves Lignon oblige à faire un choix entre au moins deux approches, toutes deux valables à notre avis. Soit il faut partir avec l'idée que ce sont des histoires qui vont nous être racontées par un conteur, c'est-à-dire quelqu'un qui guide les émotions de ses lecteurs, leur donne seulement des éléments choisis, et les amène là où il veut les voir aller. Une bonne lecture de plage, en somme. Soit approcher l'ouvrage avec une certaine distance, et en vérifier la qualité - sur le plan des allégations s'entend. Les précédents ouvrages de Lignon nous ont appris combien cette deuxième approche était opportune. Les bourdes et manipulations à son actif ne manquent pas. Nous n'en citerons qu'une parmi de nombreuses autres (la liste serait trop longue...) pour chaque ouvrage.

Dans L'autre cerveau (Ed. Albin Michel, 1992), Lignon affirmait avoir résolu une affaire, ce qui était parfaitement faux (voir Enquêtes Z n° 11). Dans Introduction à la parapsychologie scientifique (Ed. Calmann-Lévy, Paris, 1994), il prenait comme référence les travaux biaisés (voir Enquêtes Z n°9) de Suzel Fuzeau-Braesch sur les jumeaux pour conclure que « l'astrologie rendait bien compte des différences de personnalité existant entre eux ». Dans Quand la science rencontre l'étrange (Albin Michel, 1994), il précise en page 22 que "...ce sont justement des cas dans lesquels le doute n'est plus possible qui font l'objet de ce livre", et tient pour vraie une légende bien connue, celle de l'enlèvement du Régiment à Galipolli. Dans Les phénomènes paranormaux (Ed. Milan, Toulouse, 1996), il redonne une information fausse pour défendre le tordeur de cuillère Uri Geller : “A l'actif de Geller figurent (...) les tests sur cuillers et anneaux métalliques, réalisés notamment par l'US Navy sous la direction de l'ingénieur Eldon Byrd...”. Il n'y a jamais eu de telle expérience sous l'autorité de l'US Navy...

Et voici la nouvelle production : Les Dossiers scientifiques de l'étrange. Ne perdons pas de temps : deux chapitres vont nous servir d'indicateurs sur la valeur du Lignon 99. Un consacré à la Sainte Tombe d'Arles-sur-Tech, et l'autre au « suaire » de Turin. Sur la tombe d'Arles-sur-Tech, Lignon fait fort. Une étude a été menée il y a quarante ans : sa conclusion est que le sarcophage se remplit de l'eau... de pluie. Cette étude ayant été mise en avant par Henri Broch, voilà donc Lignon qui se doit de la décrédibiliser. Le voilà qui se moque des expérimentateurs, lesquels mesuraient le niveau d'eau intérieur avec « une règle d'écolier » : Lignon n'a pas compris qu'une règle d'écolier peut être adaptée tant que la méthode employée est rigoureuse... De plus, les relevés auraient été effectués à Amélie-les-Bains dont le microclimat diffère d'Arles-sur-Tech : pas de chance, les personnes interrogées à Arles-sur-Tech ne sont pas au courant de cette différence, pas plus que Météo-France... Enfin, Lignon nous sort une explication alternative proposée en fait par M. Pomarède, professeur de physique à Montpellier : celle dite de "la paroi froide". Pas de chance, cette hypothèse avait été étudiée et écartée par les auteurs de l'étude, il y a quelques dizaines d'années déjà... Et elle ne produirait qu'une quantité infime d'eau. Pomarède a une excuse : il n'a pas eu tous les éléments en main. Lignon est censé les avoir eus, lui. Mais peu importe : il est prêt à reprendre tout ce qu'on lui dit, tant que cela ne provient pas d'un sceptique.

Sur le « suaire », Lignon fait preuve d'une nullité incroyable. Il faut dire que c'est encore dans le but de s'en prendre à Henri Broch. Il maintient donc une position dont Paul-Éric Blanrue lui avait rappelé, plusieurs mois avant la publication de son livre, combien elle est mensongère (voir le dossier sur serveur Internet du CZ). Il reprend l'affirmation de Marion et Courage (Nouvelles découvertes sur le suaire de Turin, Albin Michel, 1997) qui affirment qu’"aucune trace de colorant n'a été détectée sur le linceul"... Or le Dr Walter McCrone - membre d’honneur du Cercle Zététique - qui a, lui, travaillé sur le « suaire », y a découvert des traces d'oxyde de fer (sous forme d'ocre rouge). Et a publié ses résultats dans des revues scientifiques. Mais vous ne trouverez pas trace de McCrone dans le livre de Lignon...

Tous les ratés d’Yves Lignon lui ont permis de devenir Charlot d'Or 1998 (titre décerné par le CZLR). Il est d'ores et déjà nominé pour le prix 1999. Mais soyez gentils : ne lui dites pas qu'il est un conteur, ils se croit scientifique... (L.P.)


Ont participé à cette rubrique :

François Deumier - Michel Giret - Laurent Puech.

1 du CESNUR, Èmanation du groupe Tradition, Famille PropriÈtÈ, qui est classÈ secte (FD).