Cercle Zetetique

La maison "hantée" de Vailhauquès

2- Yves Lignon et le "Laboratoire de parapsychologie de Toulouse"

Dossier réalisé par Laurent Puech, du Cercle Zététique du Languedoc-Roussillon.

Vous pouvez réagir à ce dossier dans son forum en ligne associé.

On ne peut évoquer l'affaire Vailhauquès sans parler du principal acteur : Yves Lignon. Il a en effet marqué cet épisode de son empreinte, et continue d'y rester attaché. Il va jouer sur une série de confusions quant à son titre, et sur le statut du "Laboratoire de parapsychologie de Toulouse", association qu'il a fondée et dirige encore aujourd'hui.

Pour comprendre pourquoi il a été appelé dans cette affaire, il nous faut revenir en 1979, durant l'été, à Séron, petit village des Pyrénées. Là, il s'était illustré dans l'affaire des "feux mystérieux". En effet, des feux se déclaraient un peu partout dans des bâtisses d'une même famille. A son arrivée sur les lieux, Lignon proposait quatre pistes : coïncidences, pyromane, phénomène physico-chimique, phénomène paranormal. Vite, il abandonne les deux premières... Hélas, la gendarmerie, à force de recoupements, démasque deux pyromanes, membres de la famille... Lignon affirme qu'il a découvert la solution dix jours avant eux... mais il n'en a rien dit ! Comme pour Vailhauquès, il avait été présenté dans les médias comme un "professeur (...) chef du laboratoire de recherches parapsychologiques à l'université de Toulouse-Le-Mirail" (La Dépêche du Midi, 17/8/79). C'est de là, et de quelques interventions télévisées ("La parapsychologie à l'Université", TF1, 13/2/82) avec le même type de présentation que lui vient son aura médiatique. Sans doute un des gendarmes de Saint Gély se sera t-il rappelé l'une de ces apparitions...

Avant de revenir à Vailhauquès, nous allons faire le point sur quelques questions qui concernent Lignon et son "Laboratoire de parapsychologie de Toulouse".


Yves Lignon est-il "professeur à l'université de Toulouse-II" comme cela est écrit en quatrième de couverture de ses ouvrages "Les phénomènes paranormaux" (Collection Les essentiels Milan, Toulouse, 1996) et "Quand la science rencontre l'étrange" (Ed. Belfond), et a été dit à de nombreuses reprises par des journalistes ?

La réponse est NON. Il est toujours assistant et "assure un service d'enseignement de mathématiques au sein du département de Mathématiques, Informatique Statistiques Sciences Économique et Gestion de l'Université Toulouse-Le-Mirail" (Communiqué du Président de l'Université Toulouse-Le-Mirail, en date du 12/2/97).

Il n'hésite pourtant pas à se présenter comme "professeur-assistant de statistiques" dans le premier rapport qu'il remet aux gendarmes (pièce n°6 du rapport de gendarmerie)...

Le "Laboratoire de parapsychologie de Toulouse" est-il reconnu par l'Université Toulouse-Le-Mirail ?

La réponse est NON. En 1997, dans le même communiqué cité ci-dessus, il est précisé que

"Monsieur Yves Lignon ne dirige aucun laboratoire au sein de l'Université. Ses activités privées sont complètement indépendantes de l'Université."
D'autre part, dans un courrier daté du 5 mars 1997, répondant à une lettre de Jocelyn Bézecourt et Jean-Claude Bouret, étudiants en astrophysique, le vice-président du Conseil Scientifique de L'Université Toulouse-Le-Mirail dit constater
"avec regret que M. Lignon entretient une confusion dommageable en domiciliant dans les locaux universitaires un "groupe d'études expérimentales des phénomènes parapsychologiques" qui y est inconnu. C'est pourquoi je m'adresse aujourd'hui même à l'intéressé, pour lui demander de mettre fin sans délai à ces pratiques."

En 1989, suite à une demande de Alain Cuniot, le Président d'alors répondait :

"Il n'existe pas de "Laboratoire de parapsychologie" à l'Université Toulouse-Le-Mirail. Pour qu'il existât, il eût fallu qu'une demande de création fût présentée au Conseil scientifique de l'Université, en respectant la procédure prévue à cet effet, et que le Conseil scientifique donnât son accord, ce qui n'a jamais été fait (souligné par nous). Si Monsieur Lignon a apposé sur la porte de son bureau de mathématiques un panneau portant la mention "Laboratoire de parapsychologie", il l'a fait de façon tout à fait irrégulière, et je me suis à plusieurs reprises employé à le lui faire enlever. Monsieur Lignon a été rappelé à l'ordre à ce sujet à maintes reprises ; il joue la confusion auprès de nombreux correspondants car il a fait déclarer à la Préfecture de Haute-Garonne la création d'une "Société des amis du Laboratoire universitaire de parapsychologie à Toulouse Le Mirail" (et non de l'Université de Toulouse-Le-Mirail, en jouant sur la confusion entre le quartier de Toulouse où se situe l'Université, et l'Université elle-même) (...)."
Et le Président Bertrand de finir :
"Il est facile d'observer que Monsieur Lignon joue constamment sur l'ambiguïté des situations, des désignations et des fonctions.(...)"
(Copie de la lettre est présentée dans Incroyable... Mais Faux !, d'Alain Cuniot, page 270).

Pourtant, à la page 2 du deuxième rapport remis par Lignon à la Gendarmerie, il est question des "membres et collaborateurs du Laboratoire universitaire de parapsychologie et d'hygiène mentale de Toulouse". Le jeu sur les mots, encore...

Mais que dire lorsque le papier à en-tête de l'Université où travaille Lignon est utilisé par ce dernier pour placer les inscriptions "Laboratoire de parapsychologie" suivies de "UER de Mathématiques" ? Ne s'agit-il pas là d'un faux ? Produire un faux pour un rapport de gendarmerie, quel culot !

30 et 31 janvier : première intervention du "LPT"

Voici le texte complet du rapport, daté du 1/2/88, remis par Yves Lignon à la gendarmerie. Les passages soulignés sont débattus plus loin  :

"Informée par la Brigade de Gendarmerie de Saint Gély du Fesq (Hérault), une équipe du "Laboratoire de Parapsychologie de Toulouse" composée de Y. Lignon, professeur-assistant de statistiques à l'Université de Toulouse-Mirail, Thierry DUPONT et Marc MICHEL s'est rendue le samedi 30 janvier 1988 à VAILHAUQUES où des manifestations sonores inhabituelles sont signalées depuis plusieurs semaines dans une maison d'habitation.

Après étude de la situation, le "Laboratoire de Parapsychologie" conclut à l'existence d'un phénomène de type "psychocinétique" (ou action de la pensée sur la matière) rare, intense, de durée prolongée mais peut-être en voie de disparition prochaine.

Ce phénomène est dénommé RAPS : il consiste en une série de coups frappés dont on ne peux déterminer ni l'origine, ni l'endroit exact où ils se produisent.

L'équipe du "Laboratoire de Parapsychologie" est demeurée sur les lieux du samedi 30 janvier 18H30 au dimanche 31 janvier 0H45. Le phénomène a été observé 4 fois à 23H47, 23H50, 23H51, 23H53.

Le son est très audible, avec des résonances métalliques mais étant donné sa fréquence, nécessite la présence d'un appareillage spécial (plus perfectionné que les magnétophones du commerce) pour être correctement enregistré.

Selon les témoins, le phénomène a débuté dans les premiers jours de Novembre 1987. Il se produit la nuit durant des créneaux horaires précis qui restent les mêmes pendant plusieurs jours puis changent brusquement. Le nombre de coups relevés va de 5 à 113.

Avant la venue du "Laboratoire de Parapsychologie", diverses investigations avaient permis d'écarter les hypothèses de la malveillance, de la plaisanterie et d'un phénomène géologique.

Les témoignages recueillis concordent et sont de bonne qualité. Plusieurs des témoins n'étaient pas au courant de l'existence du phénomène lorsqu'ils ont constaté sa présence pour la première fois.

L'étude du "Laboratoire de Parapsychologie" a d'abord permis de constater qu'il n'existait pas d'éléments en faveur d'un effet parasite dû à un radar. Des tests spécifiques ont ensuite été pratiqués à l'aide de générateur aléatoires. Ils ont permis de confirmer le caractère authentiquement parapsychologique du phénomène qui pourrait être attribué à une intervention du psychisme sur l'environnement. Cette hypothèse est en accord avec les résultats théoriques de physique quantique obtenus par les prix NOBEL Brian JOSEPHON et Eugen WIGNER et développés par Olivier COSTA de BEAUREGARD (directeur de recherches au C. N. R. S.) et l'américain Richard MATTUCK.

Les chercheurs du "Laboratoire de Parapsychologie" estiment disposer de suffisamment d'informations pour pouvoir s'attendre à une fin prochaine d'un phénomène aussi rare que spectaculaire. Des raisons déontologiques ne permettent pas de publier d'avantages de précisions sur la cause immédiate de ces "coups-fantômes".

En cas d'étude approfondie (si le phénomène ne disparaît pas), nous demanderions à des scientifiques de diverses disciplines de se joindre à nous : géologue, ingénieur de génie civil, expert en acoustique, psychologue ou psychiatre.

Lu et approuvé

Y. Lignon"

Reprenons les informations données par ce rapport :

* "diverses investigations avaient permis d'écarter les hypothèses (...) d'un phénomène géologique."

C'est un point tout à fait essentiel qui est abordé là. Lignon le répétera à plusieurs reprises : si le LPT est intervenu, c'est suite à une conversation, le 19/1, avec la gendarmerie d'abord, mais aussi un géologue, cela laissant penser que "la géologie ne pouvait pas fournir un cadre explicatif suffisant pour rendre compte de l'intégralité du phénomène." (LIGNON 1988c). Et Marc-François Michel précise que c'est bien sur l'avis d'un géologue du BRGM (autrement dit Marc Eulry) que l'hypothèse géologique a été mise en retrait. Cependant, nous avons vu dans l'extrait du PV d'audition de Monsieur Eulry, qu'il précise lui même qu'il n'a pu écouter les bruits qu'à l'aide d' "un verre plaqué contre le mur Nord-Est" puis contre un "pilier de béton ancré au beau milieu de la remise", ce géologue précisant que "Tout cela n'est que très subjectif car je n'étais pas en possession de matériel adéquat". Le LPT ne s'est donc appuyé que sur un seul avis, d'un géologue certes (mais pas hydrogéologue), et manifestement sans se renseigner sur les moyens mis en ouvre pour étayer cette conclusion. On voit mal, en effet, pourquoi Mr Eulry aurait omis de préciser au LPT la précarité de ses moyens d'investigations lors de la nuit du 14 au 15 janvier et la subjectivité de son avis, alors qu'il le précise dans son audition du 6/2 à la gendarmerie ?

Remarque : le titre et la compétence d'un expert ne peuvent être suffisant à accorder une crédibilité à son témoignage si les enquêteurs ne connaissent pas les moyens d'investigations qui lui permettent d'étayer sa conclusion.

* "Cette hypothèse est en accord avec les résultats théoriques de physique quantique obtenus par les prix NOBEL Brian JOSEPHON et Eugen WIGNER et développés par Olivier COSTA de BEAUREGARD (directeur de recherches au C. N. R. S.) et l'américain Richard MATTUCK"

On notera qu'à défaut de donner quelques détails sur la procédure utilisée avec le générateur aléatoire, et d'expliquer en quoi les résultats concordent avec l'hypothèse émise, le rapport sert aux gendarmes du Nobel, du CNRS et de la physique quantique. Cela revient à obscurcir le rapport, évitant ainsi une attitude sceptique de la part des gendarmes (qui se serait plongé dans un ouvrage de physique quantique pour examiner le bien-fondé de l'hypothèse ?), et disant : croyez-nous, les Nobels et le CNRS sont avec nous !

* "Des tests spécifiques ont ensuite été pratiqués à l'aide de générateur aléatoires. Ils ont permis de confirmer le caractère authentiquement parapsychologique du phénomène"

De quelles informations disposons-nous pour en savoir un peu plus sur le générateur aléatoire employé, la procédure mise en place et les résultats obtenus ? Ce qu'en disent Lignon et Michel, c'est à dire assez peu...

Qu'est-ce que ce générateur aléatoire ? Il s'agissait (car l'ordinateur l'a remplacé depuis) d'

"une plaquette d'aggloméré rectangulaire, parcourue de fils de cuivre et reliée à une pile électrique plate de la plus extrême banalité. On trouvait aussi sur la plaquette un interrupteur et surtout une diode électroluminescente : un de ces trucs qui servent à afficher des chiffres dans les radioréveils. En mettant l'interrupteur en position de marche, on voyait le diode s'allumer puis s'éteindre puis s'allumer de nouveau, ad vitam eternam si on le souhaitait. A chaque allumage apparaissait, strictement au hasard, un nombre entier compris entre 0 et 9, on réalisait donc l'équivalent du lancer d'un dé à dix faces mais un dé qui serait absolument parfait (...). La seule manipulation à effectuer étant l'action sur l'interrupteur pour la mise en marche (...) le sujet n'avait strictement rien à faire sinon s'asseoir à coté du dé et souhaiter que les chiffres n'apparaissent plus au hasard, le verdict étant, comme de bien entendu, rendu par le statisticien (avec un test d'ajustement cela va de soi)."
(LIGNON 1992)
Bon : un diode affiche régulièrement un nombre entier compris entre 0 et 9, l'expérimentateur les note, puis fait une analyse statistique des résultats.

La procédure ?

"Les quatre tests (2 habitants + 2 voisins, ndr) ont été effectués par le même expérimentateur dans un intervalle de temps d'environ 20 minutes et en alternance habitant/voisin."
(LIGNON 1988c).

Les résultats ? Pas d'indication détaillées mais il est dit que

"Les tests PK passés par deux des habitants de la maison (le père et la mère) ont fourni les résultats statistiquement significatifs (P<.05) alors que les deux autres tests subis par des voisins donnaient des résultats s'ajustant à ceux pronostiqués à partir de la loi de probabilité uniforme."
(LIGNON 1988c)
Nous savons donc qu'il y a eu 20 minutes pour 4 tests, donc moins de 5 minutes par test (dans la mesure où il faut procéder à l'analyse des résultats et changer le sujet testé). Ne possédant aucun élément plus précis, nous sommes obligés d'imaginer à quoi peut ressembler un test (une photo parue dans Midi Libre du 12 février et montrant Lignon en train de tester Monsieur B. nous y aidera). En comptant une moyenne de 2,5 secondes entre deux sorties, ce qui laisse tout juste le temps d'identifier le chiffre affiché et de l'inscrire sur un papier, on peut situer le nombre de sorties entre 100 et 120 par test.

Tout ceci appelle plusieurs remarques :

Un même expérimentateur (sans doute Y. Lignon), qui sait qui est habitant de la maison ou pas. Hors, parmi les constantes décrites par les tenants du paranormal dans les cas de poltergeist, le problème de départ est celui d'un des occupants des lieux où se produisent les phénomènes. Il ne peut donc y avoir qu'un a priori vis à vis des propriétaires, ce qui est gênant quant à la neutralité supposée de l'expérimentateur.

Monsieur Lignon insiste sur le fait que la seule manipulation est celle au niveau de l'interrupteur ? Il ne précise hélas dans AUCUN des écrits consultés comment et par qui sont notés les résultats, une phase de manipulation essentielle dans le recueil des données. James E. Alcock (1988, p.298) nous rappelle que

"Chaque fois que l'on traite des données à la main, que ce soit pour les noter, les copier ou les compter, des erreurs sont évidemment possibles. Des psychologues ont observé, en étudiant les erreurs de notation dans leur propre domaine, qu'elles favorisent le plus souvent les prévisions ou les souhaits de l'expérimentateur. On estime cependant ces erreurs inconscientes, elles ne sont pas le fait d'une fraude délibérée. La recherche parapsychologique connaît le même problème. Kennedy a montré comment dans plusieurs études d'E.S.P., les résultats favorables à l'hypothèse psi étaient dus à des erreurs de notation. Le bon sens recommande donc de faire en sorte que les personnes qui enregistrent les résultats d'une expérience E.S.P. ne sachent pas quelle réponse est la bonne (...) nous devons tenir compte de la possibilité d'erreurs de notation lorsque nous analysons une étude."
Un autre auteur (ROUZE 1979, p. 117) parle d'un cas d'erreurs de relevé par une personne favorable à l'ESP, lors d'une réplication d'un travail de Rhine à la Stanford University.

La procédure de recueil des nombres générés comportait donc au moins un biais important. S'y ajoute un autre : celui qui établit l'analyse statistique des résultats (et semble t-il le seul), c'est toujours l'expérimentateur Yves Lignon. Nouveau problème, qui peut s'ajouter au premier.

Le temps de test, ou un nombre de tirages étaient-ils prévus avant l'expérience ? Nul ne le sait. Arrêter un test à l'envie, cela pourrait être lorsque les résultats vont dans le sens d'un dérèglement pour les uns, et sont dans la fourchette que donnerait le hasard pour les autres.

Les deux propriétaires ayant, d'après le LPT, "déréglé" le générateur aléatoire", pourquoi ne pas avoir repris avec eux seuls un nouveau test, de même durée voire plus long, avec un autre expérimentateur et/ou sous une double notation ? Cela aurait permis de confirmer ou d'infirmer les résultats de la première série. On peut penser que cela n'aurait pas gêné les propriétaires (que représentent 5 ou 10 minutes de test en plus par rapport à des mois d'angoisses ?), d'autant plus qu'ils avaient souhaité la venue de Lignon, et avaient même assurés le défraiement du transport de son équipe (LIGNON 1992, p. 263).

Et pourquoi, si l'équipe du LPT pensait tenir là un véritable phénomène de poltergeist, n'a t-elle pas "prescrit" un éloignement de la maison durant plusieurs jours du couple de propriétaires, tout en laissant sur place, et en permanence, un ou plusieurs observateurs chargés de noter si il y avait des bruits ? Rémy Chauvin (1997) affirme que lorsque l'on éloigne un sujet à l'origine de tels phénomènes, ces derniers cessent, et recommencent au retour du sujet. Ce qui semble confirmé par le récit du cas du poltergeist de Rosenheim (Allemagne) (LIGNON 1996). Francis Attard, journaliste à Midi Libre, faisait remarquer dès le 3 février 88 que

"Si Yves Lignon détient la clé du mystère en attribuant les "raps" à un phénomène de psychokinèse, il devrait être relativement facile de découvrir le responsable en éloignant du mas, à tour de rôle, les trois personnes qui y vivent en permanence. On saurait alors qui les provoque inconsciemment et s'ils suivent l'élément perturbateur..."

Dans cette affaire, tout semble avoir été fait pour ne pas contrarier le peu d'éléments favorable à l'hypothèse du poltergeist. Je ne dis pas qu'il y a eu volonté consciente de l'équipe du LPT de trouver ce résultat (donc fraude). Mais il faut bien constater que devant un tel résultat, on aurait pu s'attendre à une autre attitude de la part de Lignon et de ses assistants : une démarche scientifique aurait été la bienvenue. Mais lorsque l'on croit à l'action de l'esprit sur la matière, lorsque les autres pistes ne vous paraissent pas probantes, quand on a fait 250 km et que les médias attendent impatiemment vos conclusions...

Quant à l'affirmation d'un "caractère authentiquement parapsychologique du phénomène", on ne peut pas dire qu'il s'agisse de propos empreints de la prudence la plus élémentaire. Cela tranche avec les textes produits plus tard par Lignon (1988c) : "Au vu de l'ensemble des informations alors disponibles, le LPT a estimé pouvoir émettre une hypothèse PK." Il est vrai qu'un texte public est soumis à la critique, ce qui n'est pas le cas d'un rapport à l'usage unique des gendarmes...

Mais passons au deuxième élément qui va dans le sens, selon le LPT, de l'hypothèse parapsychologique.

En admettant les résultats de Lignon, il reste à se demander si les coups sont la cause ou la conséquence de l'état psychologique de Monsieur B.

Lignon postule que son générateur aléatoire se dérègle lorsqu'une personne a une action psychocynétique sur lui. Cela mériterait un débat  : la seule expérience qui pourrait permettre cette conclusion serait de trouver un sujet qui arrive à dérégler quand il le souhaite un générateur véritablement aléatoire avec inscription automatique des tirages et du traitement statistique. Dans l'attente d'un tel sujet, les parapsychologues affirment que si un générateur aléatoire se dérègle, c'est "forcément" qu'une action psychocynétique est exercée sur lui, ce qui nous parait un peu court.

Mais admettons que cela soit vrai, comme nous admettrons que le relevé des données n'est pas biaisé. Nous avons donc une personne (Monsieur B.) qui a déréglé l'appareil. Cela prouve t-il que les coups dans les murs sont provoqués par cette personne ? NON. On peut parfaitement imaginer que la persistance des coups depuis plusieurs mois a provoqué un changement psychologique chez les B. qui les rend "capables" de dérégler le générateur aléatoire, mais pas de "produire" des coups dans les murs... La capacité à dérégler l'appareil ne démontre pas qu'ils sont forcément à l'origine des coups, mais qu'ils peuvent dérégler un générateur aléatoire. Même en acceptant les résultats de Lignon, établir une causalité entre la famille B. et les coups est trop rapide. On pourrait même pousser les hypothèses un peu plus loin : et si celui qui produit un effet PK n'était autre qu'Yves Lignon lui-même :-)

* "Des raisons déontologiques ne permettent pas de publier d'avantages de précisions sur la cause immédiate de ces "coups-fantômes"."

Voila une autre question importante. Les parapsychologues affirment qu'un poltergeist "se produit souvent au moment d'une situation de conflit psychologique". A Vailhauquès, il fallait donc qu'il y ait conflit psychologique. Et il y était. C'est du moins ce que dit Yves Lignon :

"A Vailhauquès, le père nous a fait part - sans réelle hésitation - de l'existence d'un conflit de voisinage dont les caractères particuliers, sous une apparence banale, avaient pour effet de provoquer un véritable effondrement du système de référence de son vécu."
(1988c)

Que le père ait évoqué un problème le tracassant, soit, mais un diagnostic aussi précis de la situation nécessite qu'il soit posé par un psychologue qui aura réellement eu le temps de discuter avec les personnes concernées. Hors, aucun des membres du LPT qui sont intervenus cette première fois n'ont une formation de psychologue ! Et Lignon de reconnaître que "nos minimes connaissances de la psychologie se sont révélées terriblement insuffisantes" (1988c). Ce que confirme Marc-François Michel en précisant que "c'est un fait que l'approche sciences humaines (psychologie des agents, relations avec les médias, etc.) a été relativement mal faite". Mieux : dans ce même article, Monsieur Michel précise que lors de la deuxième venue du LPT (où un psychiatre était présent, celui-ci "n'a pas pu approcher les agents complètements transformés par les entrevues et l'attention médiatique dont ils faisaient l'objet." (MICHEL, 1988). Dans ce cas, on évite de poser un diagnostic. Reste que Monsieur B. avait quelque chose qui le tracassait, comme 90 % de nos concitoyens : en cherchant bien, on trouve toujours un problème qui nous tracasse. Dans n'importe quelle maison où se produisent (ou pas) des bruits étranges, le LPT aurait trouvé un problème psychologique.

Lors d'une enquête de ce type, il ne s'agit pas d'ignorer la question (essentielle) de l'évaluation psychologique des acteurs. Mais tous diagnostic doit être fait par une personne qualifiée. Question de compétence, mais aussi de déontologie.

La déontologie, justement... Elle empêcherait le LPT de dire aux gendarmes, dans un rapport confidentiel daté du 1/2/88, l'origine hypothétique de ces bruits selon la parapsychologie (donc à préciser clairement l'existence de problèmes d'ordre psychologique chez les B.).

Mais ça n'empêche pas Yves Lignon de déclarer à la presse qu'il s'agit d'un phénomène provoqué inconsciemment par l'un des habitants (ML 1/2/88) et de préciser deux jours après que la cause est "une brusque décharge émotionnelle consécutive à un conflit avec le voisinage" (ML 3/2/88) pour carrément expliquer le avant le 5 février que

Les B. m'ont raconté que des gens de Paris sont venus s'installer il y a quelques mois près de chez eux. Ils avaient amené avec eux une grand-mère qui peu à peu a sympathisé avec le grand-père B. Et puis la grand-mère a été placée à l'hospice de Montpellier. Les B. sont allés la voir très régulièrement jusqu'au jour où les voisins leurs ont interdit de lui rendre visite. C'est à peu près vers cette époque là que les bruits ont commencé à se manifester dans la maison. Les B. sont très catholiques : c'est leur charité chrétienne à l'égard de la mémé qui a été malmenée. Ils ont ressenti un désarroi affectif qui est la cause des bruits."
(La Gazette 5/2/88)

Et le journaliste de préciser que
"Pour Yves Lignon, c'est plus particulièrement Georges B. qui, malgré lui provoque les bruits".
Pourquoi ce grand déballage public ? Peut-être parce qu'après le passage de Lignon, Monsieur B. a envisagé de procéder à un exorcisme. Mis en concurrence avec l'église, Lignon devait réaffirmer la "validité" de son hypothèse. Et tant pis pour la vie privée des B.

Et Monsieur B., qu'en pensait-il ? Si il reconnaît qu'il a eu des ennuis relationnels et que les bruits ont débuté peu de temps après (ML 4/2/88), il précise qu'il ne croit pas à l'explication de Lignon (La Gazette 5/2/88).

Cette question entraînera une polémique entre messieurs Lignon et B. En effet, lors de la deuxième intervention du LPT, le 11/2/88, Monsieur B. s'en prend au "professeur" toulousain. La réponse de Lignon, c'est lui même qui nous la donne (LIGNON 1988b, p.7) :

"Au cours de la discussion qui les a opposés, Monsieur Lignon a confirmé à Monsieur B. qu'il n'avait jamais considéré (et donc a fortiori pu déclarer) que celui-ci se trouvait (pas plus que les autres membres de sa famille) dans un état de déséquilibre psychologique. Par contre, Y. Lignon a répété que le trouble causé dans la famille B. par un incident minime ayant précédé de peu le début des coups, allait dans le sens de l'hypothèse parapsychologique (...) puisque la présence d'un tel trouble a été observée dans la plupart des cas de psychocinèse spontanée scientifiquement étudiés."
Après s'être épanché dans les médias, difficile d'assumer ses propos...

* Les chercheurs du "Laboratoire de Parapsychologie" estiment disposer de suffisamment d'informations pour pouvoir s'attendre à une fin prochaine d'un phénomène aussi rare que spectaculaire.

Le LPT passe, les coups trépassent ? Sûr que l'équipe toulousaine aurait aimé que cela se produise (ainsi que les B., mais pour d'autres raisons). Mais, le phénomène durait depuis plusieurs mois, et ne semblât pas impressionné par la visite de Lignon. Les coups continuèrent...

10 et 11 février :

Le retour du LPT

Retour donc. Mais cette fois, le LPT a déployé des moyens plus important. 9 de ses membres sont présents (parmi lesquels un psychiâtre, un électronicien, deux informaticiens, une infirmière psychiatrique). Les époux B. aussi, ainsi qu'un couple de voisins. Marc Eulry, géologue, et Jean-Claude Gilly, hydrogéologue au Laboratoire de la D.D.E. 6 journalistes de la presse écrite, ainsi que Jean-Yves Casgha, journaliste T.V. On trouve aussi un médecin légiste, un illusionniste professionnel, des techniciens vidéo, l'Adjudant Criado qui commande la brigade de gendarmerie de St Gély du Fesc. En tout, 30 personnes qui sont réparties dans la maison. Les géologues occuperont la remise.

Une réunion à la salle polyvalente du village a réuni tous les protagonistes de 19H à 20H30. Elle permet de discuter des deux hypothèses en présence (LIGNON 1988b) :

  • l'hypothèse parapsychologique a pour elle les résultats du générateur aléatoire du 30/1, et la prise "en compte d'un certain "vécu" des habitants de la maison.".
  • l'hypothèse géologique "présentait de nombreux aspects intéressants mais laissait des zones d'ombres nécessitant des investigations longues et sans doute coûteuses. Il est notamment indispensable de s'assurer que cette hypothèse peut rendre compte de la limitation horaire du phénomène. C'est au cours de la discussion que Monsieur Gilly a proposé de faire sonder le puit de la maison par un plongeur (...) et que Monsieur Eulry a envisagé de faire baisser le niveau de ce puit afin de mettre en évidence une modification du phénomène."

La position du LPT vis-a-vis de l'hypothèse géologique est précisée dans un chapitre du rapport :

"C'est en raison de tous ces faits que l'hypothèse parapsychologique a été l'objet d'une attention particulière à partir du 30 janvier. Cependant, c'est parcequ'il considérait que les éléments réunis, aussi nombreux et convergents soient-ils, ne rendaient pas pour autant incompatibles les deux hypothèses que le "Laboratoire de Parapsychologie de Toulouse" a tenu à la présence de géologues pour l'opération des 10 et 11 Février."

Mais quels étaient les buts de cette soirée :

"Premièrement (conformément aux objectifs généraux de l'ensemble de l'opération) provoquer l'apparition du phénomène en vue de son observation aussi détaillée que permis par les moyens techniques disponibles ; deuxièmement  : terminer le travail entrepris le 30 janvier afin d'empêcher toute manifestation ultérieure."

Au cours de la nuit, on fera passer à nouveaux des tests avec le générateur aléatoire aux B. Résultats non-significatifs. Puis des tests de perception extra-sensorielle avec l'ordinateur Apple II amené par le LPT. Résultats non significatifs pour Mme B., Monsieur B. refusera d'aller jusqu'au bout du test. Pour le reste, le LPT se livre à une mise en scène laissant croire, prévision informatique à l'appui, que les coups apparaîtraient à 1h32 et atteindraient leur maximum entre 2H et 3H. On suppose que pour le LPT, l'annonce de la venue des coups stimulerait les époux B. et favoriserait le déclenchement du processus psychocinétique provoquant l'arrivée réelle des coups... Dans le cadre de l'hypothèse parapsychologique, ce dispositif était cohérent. De là à ce que ça marche...

Les coups ne s'étant pas manifestés, des coups furent frappés dans la réserve sans avertir les époux B. et les personnes présentes à l'étage. Pas plus de résultats...

Alors, rien de bizarre cette nuit là ? Si, quand même. Vers 4H du matin, une sensation de froid éprouvée par deux personnes. Mais, "le thermomètre n'a pas mesuré de variation de la température" (LIGNON 1988c). Le LPT note fort justement que la fatigue est sans doute à l'origine de cette sensation.

Deuxième élément allant dans le sens de l'hypothèse parapsychologique :

"...une baisse de pression atmosphérique a été notée : le baromètre placé à côté du thermomètre est brusquement passé de la graduation 76 (sur laquelle il se trouvait à 23H30) à la graduation 75,8. Ce fait peut être considéré comme objectivement constaté..."
(LIGNON 1988b).
Rappelons que ce rapport est daté du 25 février 1988, soit deux semaines après la nuit d'observation. Ce détail a son importance car il était matériellement possible à l'équipe du LPT de prendre contact avec un météorologiste afin de mesurer la valeur de cet élément. C'est ce que nous avons fait auprès du Centre Départemental de Météo-France (34), où on nous a renseigné immédiatement par téléphone, puis par courrier, avec les relevés des pressions atmosphériques pour la semaine du 8 au 14 février 1988. Les pressions atmosphériques ne variant que très peu dans un rayon de 200 Km, seules les stations principales les enregistrent (ce qui n'est pas le cas pour la pluviométrie). Sauf dans les "cas de phénomènes locaux du type orage" (Courrier Météo-France du 25/2/98).

Il apparaît qu'entre le mercredi 10/2/88, 22H et le mercredi 11/2/88, 4H, la courbe de pression montre une baisse d'un peu plus d'un hectopascal. Sachant que le temps sur la région était "Temps nuageux, vent de nord-ouest dominant modéré à assez fort. Petite averse l'après-midi du 10", il se peut que le temps sur Vailhauquès (situé dans l'arrière pays montpelliérain, où le temps est souvent moins "beau" que près de la mer, où se situe la station Météo-France) soit à l'origine d'une amplification de cette baisse de pression.

Quant au baromètre (à propos duquel le LPT ne dit rien de plus), si il s'agit d'un modèle à mercure, la baisse de "76 à 75,8 cm de mercure correspond à 2,7 hectopascals, elle peut être considérée comme courante si elle se produit en plus d'une heure. Lors de phénomènes météorologiques violents tels les orages, on peut enregistrer des baisses de 8hPa en une demi-heure."

Et Monsieur Victor, météorologiste, précise que "Les baromètres vendus dans le commerce fonctionnent le plus souvent grâce à une "capsule de Vidi", ils sont à aiguille par opposition aux baromètres à colonne de mercure à lecture directe. Il s'agit d'une capsule en acier à l'intérieur de laquelle a été fait le vide et qui se déforme lors des variations de pression. Ces déformations étant très faibles, elles sont amplifiées par un mécanisme relié à une aiguille. Ce mécanisme est malheureusement (comme tout mécanisme) affecté de forces de frottement qui peuvent masquer de petites variations de pression, c'est le phénomène "d'hystérisis", dont l'importance est fonction de la qualité de fabrication du baromètre. En tapotant légèrement du doigt sur l'appareil on peut le débloquer et lire une valeur plus juste."

En clair, tout mouvement brusque peut décoincer l'aiguille et modifier "brusquement" son indication... Et où était placé le baromètre ? "...sur la table à quelques centimètres de ces deux personnes (Casgha et Desplanques, ndr)" (LIGNON 1988b)... Un coup involontaire contre la table ou le déblocage "naturel" de l'aiguille apparaissent comme deux pistes explicatives intéressantes, et suffisantes.

Néanmoins, dans son article publié en octobre 1988, Lignon (1988c) garde cet élément en faveur de l'hypothèse parapsychologique, même si il le qualifie de "minime".

Que s'est-il passé cette nuit là à Vailhauquès ? Rien de favorable à l'hypothèse parapsychologique.

Enfin, 10 ans après, Monsieur Lignon sort un élément qu'il considère comme le "seul élément nouveau de quelque importance recueilli depuis dix ans !" (LIGNON 1998) Il est vrai qu'il n'a pas eu l'idée de voir du coté des relevés pluviométriques, par exemple... Quel est cet élément nouveau qui va dans le sens de la parapsychologie ?

"... l'un des arguments essentiels en faveur de l'hypothèse parapsychologique résultait de l'utilisation, le 30 janvier 1988, d'un générateur aléatoire ce qui constituait une nouveauté dans ce genre d'étude. Depuis, une situation similaire a pu être observée (BIERMAN 1996) et ceci, bien évidemment, va fortement dans le sens de cette hypothèse."

Le flou de cette description nous a poussé à lire l'article en question : il décrit le dérèglement d'un générateur aléatoire sur un micro ordinateur, avec inscription automatique des tirages, lesquels sont fort nombreux, et répétés. Ces dérèglements seraient intervenus sur une courte période, durant un phénomène de poltergeist ("déplacements apparemment anormaux d'objets" BIERMAN 1996), entre les 11 et 21 mai 1995, et lors d'un match de foot de coupe Europe, le 24 mai 95 dans une famille turque... Mais il n'est pas question là de coups dans les murs ! De plus, la procédure est bien différente. Cette affaire est à mille lieues, à tous les niveaux, de celle de Vailhauquès, et ne peut en aucune mesure constituer la bouée de sauvetage de l'hypothèse de Monsieur Lignon. Maintenant, si Yves Lignon veut tester l'effet PK du supporter de foot, il peut amener son générateur au milieu des tribunes du Toulouse Football Club. Finalement, cet article a un effet boomerang contre Lignon : il est très fourni en données chiffrées, précis quant à la procédure employée : le contraire du rapport du LPT.