Au Grohenland, Erik le Rouge installa sa "halle". Non, Christophe Colomb n'a pas découvert l'Amérique! C'est désormais indéniable, la Pinta, la Nina et la Santa Maria n'ont pas été les premiers navires à atteindre les côtes du "Nouveau Monde". Avant 1492, l'Atlantique avait déjà été franchi par des hommes de l'est, ancrés dans l'imaginaire européen sous le nom de "Vikings". Et d'intrépides auteurs vont jusqu'à dire que les "anciens rois de la mer" eurent des prédécesseurs... Mais n'allons pas trop vite et commençons par la saga viking, qui est la mieux assurée.
Toujours plus à l'ouest !En 870, les Norvégiens établis dans les archipels écossais, en Irlande ou fuyant leur pays soumis par Harald-les-beaux-cheveux, se lancent dans la colonisation de l'Islande. Ce n'est qu'une des nombreuses étapes d'un déplacement vers l'ouest qui va se faire graduellement, en fonction d'intérêts divers, qui -il faut le dire au risque de briser le mythe de l'aventure pour l'aventure- étaient principalement commerciaux. Aux alentours de l'an 900, un dénommé Gunnbjörn, déporté vers l'ouest par les vents, aperçoit un groupe d'îles inconnues, au-delà de l'Islande. Il leur donne le nom de "Rochers de Gunnbjörn", mais n'y aborde pas. La nouvelle de cette découverte se répand et le navigateur fait des émules. En 978, Snaebjörn Galti tente de joindre ces "Rochers". C'est un cuisant échec, dont le Landnamabok se souvient. Vers 980, Erik le Rouge (ou le Roux), banni d'Islande à la suite d'une sombre affaire (criminelle), se met à son tour en quête des mystérieux îlots. Ayant atteint le Groenland (le "pays verts"), il passe trois hivers à en reconnaître les fjords du sud-ouest. Il retourne dans son pays pour chercher des hommes tentés par la colonisation de ces nouvelles terres. Vers 985-986, Eric repart à la tête d'une flotte de 25 navires sur lesquels embarquent 800 personnes, toutes islandaises, et de nombreuses têtes de bétail en vue d'une installation définitive. La traversée est rude et seulement 14 vaisseaux arriveront à bon port. L'établissement se fait principalement à l'est, autour de l'actuelle Julianehaab, dans l'Eystribyggdh. Un second territoire de colonisation est créé, dans le Vestribyggdh, à l'ouest. Erik plante sa "halle" à Brattahild, à l'extrémité inférieure du "fjord d'Eric". Des villes seront fondées, à proximité de la haute mer et au fond des fjords et, à partir de l'an mille, la christianisation faisant, des églises seront bâties. Un État s'organise peu à peu, copié en tous points sur le modèle islandais. Les premières colonies comptent bientôt quelques milliers d'habitants, regroupés dans la partie méridionale de l'île. Ils y vivent essentiellement d'élevage laitier et font commerce de cordes, d'ivoire de morse ou de narval, d'huile ou encore d'ours blancs. Dans les premiers temps, les Vikings groenlandais ne rencontrèrent pas d'Eskimos (Inuit). On ne sait pas vraiment quel type de rapports ils nouèrent avec eux par la suite. Beaucoup de récits évoquent les combats terribles que se seraient livrés les deux peuples, mais le pacifisme intégral des indigènes indique qu'il ne faut pas s'y fier aveuglément. Certains anthropologues, comme Vilhjalmur, pensent avoir prouvé qu'il y eut des croisements ethniques. Les conquérants islandais ne peuvent rester en place. Ils tentent des expéditions vers le nord, mais aussi vers l'ouest. Cette "conquête de l'ouest", qui finalement n'aboutira pas, peut se décomposer en 6 voyages.
Carte générale des premières expéditions vickings vers le Nouveau Monde
Les 6 voyages vikings en AmériqueLe premier, un des plus rapides aussi, fut le fait de Bjarni, fils de Herjolfr. Au cours d'une expédition, à peine un an après le débarquement au Groenland, Bjarni est entraîné vers des côtes inconnues, à l'ouest-sud-ouest. N'osant y appareiller, il les remonte quelque temps, puis regagne le "fjord d'Éric", où il raconte ce qu'il a vu. Bon sang ne saurait mentir : vers l'an 1000, Leifr, le fils d'Eric le Rouge, accompagné de 35 hommes, entreprend l'itinéraire de Bjarni, mais en sens inverse. Il retombe sur les paysages décrits par son prédécesseur. Première relâche, une terre occupée par "de grands glaciers"; vu leur configuration, il baptise ce lieu Helluland ("Pays de la Pierre plate"). Leifr poursuit sa route, le long de sables blancs s'étendant devant un pays forestier, qu'il l'appelle avec simplicité Markland ("Pays des Forêts"). Deux jours plus tard, il accoste sur une île, où l'herbe est abondamment perlée de rosée. Il gagne ensuite une terre située au-delà du détroit, remonte une rivière vers une lagune, où il jette l'ancre et fait construire des baraquement pour y passer l'hiver, au lieu-dit Leifsbudhir ("Cabanes de Leifr"). Comme la région regorge de vignes, Leifr lui donne le nom de Vinland ("Pays du vin"). Il retournera au Groenland, la cargaison pleine de bois et de vin. Thorvaldr prend 30 hommes avec lui et part à la recherche des terres par son frère Leifr. Il retrouve les cabanes, et y passe environ un an. Pour revenir au Groenland, il file par le Markland et double un cap qu'il nomme Kjalarnes ("Cap de la Quille"). Mais il tombe sur les "Skaerlings" dont les flèches le blessent mortellement. Il est enterré sur place. Quatrième voyage, troisième frère : Thorsteinn, qui décide de ramener le corps de Thorvald pour lui donner une sépulture chrétienne. Il s'embarque avec sa femme et 25 hommes, mais la mer déchaînée l'empêchera d'atteindre son objectif. Thorfinn Karlsefni a de plus grandes ambitions. Riche islandais émigré au Groenland, il songe à renouveler l'exploit d'Eric le Rouge, en colonisant le Vinland. Il prend trois navires, sur lesquels s'embarquent 150 personnes, ainsi que du bétail. Leifr accepte de leur prêter "ses" cabanes. Tout se passe sans problème, il passe par Helluland, Markland, double Kjalarnes et s'installe à Leifsbudhir. Mais au bout d'un an, Thorfinn et ses troupes doivent affronter les raids des "Skaerlings". Bien qu'ils soient mis en déroute, les indigènes causent de si graves ennuis à l'expédition que son chef profite de leur débandade pour retourner au Groenland. Il n'oublie pas d'emporter dans ses bagages, une cargaison de ceps et de raisins. La dernière aventure est celle de la fille d'Erik le Rouge, Freydis. Elle voulut renouveler l'expérience de Thorfinn, se rendit aux cabanes, mais sa cruauté et les querelles qui secouèrent son équipage firent échouer la colonisation. Personne, par la suite, ne songea, semble-t-il, à regagner Leifsbudhir.
Les périples accomplis par Leifr et par Bjarni
Faut-il croire les sagas ?Plusieurs noms de lieux apparaissent dans ces 6 épisodes. Les principaux sont l'Helluland, le Markland et surtout le Vinland. La plupart des chercheurs, se fondant sur les descriptions topographiques, botaniques, zoologiques, météorologiques, climatiques et sur des données maritimes, ont conclu que ces territoires étaient respectivement la Terre de Baffin, le Labrador et un endroit, plus difficile à cerner, qui peut être situé, très approximativement, entre la Nouvelle-Angleterre, la Nouvelle-Écosse et les atterages de la baie du Saint-Laurent. C'est-à-dire, en un mot, en Amérique du Nord. Cinq siècles avant Colomb. Et voilà le Génois détrôné! Faut-il s'en étonner, ces conclusions formidables ont mis longtemps à être admises par les universitaires -toujours un peu lents à réviser leurs enseignements et à admettre que leur corporation s'est trompée pendant des siècles. Pour d'obscures raisons, certains ne les ont toujours pas admises ou s'efforcent contre toute raison d'en minimiser la portée... Les documents écrits sont évidemment trop fragiles par eux-mêmes pour qu'on leur accorde une signification historique. C'est un fait, les sources qui relatent les différents voyages des Vikings groenlandais, les fameuses "sagas" (l'Islandingabok, le Landnamabok déjà cité, la Saga d'Éric le Rouge, la Saga des Groenlandais, le Dit des Groenlandais...), ont été rédigées quelque trois siècles après les événements. Trois siècles, c'est long et il est hors de doute que ces récits, issus de traditions navales, contiennent des exagérations et des épisodes mythologiques qu'il importe de resituer dans leurs contextes. On y croise des monstres, des héros certainement trop héroïques et une Freydis un peu trop cruelle, pour qu'on leur accorde un crédit illimité. Peut-être même des personnages ou des expéditions ont-elles été inventées de toutes pièces. S'il fallait les croire sur parole, le scepticisme serait de rigueur. Mais la plupart des histoires racontant la migration viking d'Islande vers le Groenland, et du sud du Groenldand vers le nord, ont été confirmées par les fouilles archéologiques sur le terrain. On a pu dénombrer quelque 190 fermes, 12 églises et deux monastères, pour la région d'Eystribyggdh, et, dans le Vestribyggdh, 9O fermes et 4 églises. Les restes d'une cathédrale se trouvent encore à Igaliko (anciennement Gardhar). Brattahild, où Éric le Rouge s'installa, a été identifiée et correspond à l'actuel Kaksiarsuk. Le "fjord d'Éric" porte aujourd'hui le nom de Tunidliarfik. Au Musée national de Copenhague, on peut aujourd'hui admirer une pierre runique, trouvée en 1824 par un Eskimo, à Upernivik, sur l'"le de Kingigtorssuaq, à 72° 58' de latitude nord, qui témoigne de la réalité des expéditions vikings menées vers le nord du Groenland, si étonnantes qu'elles paraissent. Il est donc admis que les textes narrant les voyages vers le nord, tout tardifs qu'ils soient, avec leurs inévitables broderies et, parfois, leurs contradictions, retracent dans les grandes lignes des événements vécus. En irait-il différemment avec les voyages vers le sud-ouest ? Seraient-ils, eux tous, des purs produits du folklore, comme l'en accusent quelques universitaires?
Vue générale des fouilles à l'Anse aux Meadows
La preuve par L'Anse-aux-MeadowsLes réserves sur ce point sont d'autant plus étranges que ces voyages sont, comme les autres, assurés par les découvertes archéologiques les plus sûres. Il y a d'abord des indices : une pointe de flèche en silex de facture algonquine retrouvée dans le cimetière le Kilarsarfik, au centre de la Vestribyggdh (les Algonquins sont des Indiens d'Amérique du nord qui pourraient s'apparenter aux mystérieux "Skraelings" qui tuèrent Thorvaldr) et un morceau d'anthracite qui, selon les géologues, ne pourrait provenir que du gisement à ciel ouvert de Rhode Island. Évidemment, on pourrait objecter, même si l'argument ne convainc que les convaincus, que ces objets ont été apportés par les peuplades d'Amérique, que ce sont les Eskimos qui les ont enfoui dans un site viking. Mais il y a surtout LA preuve. Au début des années 60, dans le nord de Terre-Neuve, à L'Anse-aux-Meadows, sur la rive sud du détroit de Belle-Isle, Helge et Anne Stine Ingstad ont exhumé les emplacements de grandes maisons de type scandinave. Secondés par le Dr William Taylor, indianiste du Musée National du Canada, des archéologues islandais et suédois (dont Kristjan Eldjarn, futur président de la République d'Islande) et un géologue, ils entreprirent une exploration quasi-complète du site. Les résultats dépassèrent tout ce qu'ils pouvaient espérer. Sur la rive est d'une rivière provenant d'une lagune intérieure, le Black Duck Pond, ils mirent au jour une bâtisse de 16 m/ 20, dont les normes de construction étaient rigoureusement identiques à celles des Vikings (un grand hall et un âtre rectangulaires), des foyers, des emplacements de cuisine... ; à l'ouest, ils trouvèrent les restes d'une forge, ainsi qu'une fosse emplie de charbon de bois. Dans une bo"te à braise, exhumée par Rolf Pétré, on découvrit des cendres de charbon de bois et un petit morceau de cuivre. Un examen métallurgique permit de déterminer que ce morceau avait été fondu selon une technique étrangère aux autochtones. La méthode du C14 fut appliquée au charbon : il datait des environs de l'an mille! Tous les autres objets d'origine biologique soumis au C14 donnèrent des dates comparables -ce qui les faisait donc correspondre à la chronologie des expéditions vikings rapportées par les sagas! Tous les objets inventés, qu'il s'agisse de clous de fer, d'une lampe, d'outils de pierre, ou d'une petite couronne en pierre ollaire, servant à filer la laine (ni les Eskimos, ni les Indiens ne travaillaient la laine!) étaient incontestablement d'origine viking. A moins d'être particulièrement obtus, on ne peut qu'admettre, au vu de toutes ces données, que le site de L'Anse-aux-Meadows fut occupé par les Vikings, aux alentours de l'an mille. Ou alors il faut croire qu'à peine 20 ans après l'arrivée des Vikings au Groenland, des Indiens très ingénieux ont recopié parfaitement les usages et les normes de ceux-ci, quitte à oublier subitement leur propre culture -et qu'ils se sont contenté de faire l'"expérience" à cet endroit précis, à cette époque précise, n'en tirant aucune leçon pour l'avenir. Régis Boyer, de l'université Paris-Sorbonne, doit le croire, puisqu'il écrit qu'" il est imprudent d'affirmer que les Islandais du Groenland ont découvert l'Amérique du Nord". Etrange conception de l'histoire.
Pierre runique retrouvée à Upernivik (72° nord) Faut-il conclure du même coup que cet emplacement n'était autre que celui des cabanes de Leifr, le Leifsbudhir? Ne disposant pas des informations qui lui auraient permis de faire un tel rapprochement, Helge Ingstad, en scientifique consciencieux, se refusa à aller si loin. On ne peut néanmoins que constater des similitudes troublantes.
Sous le Soleil d'Amazonie ?Une question vient immédiatement à l'esprit : les Vikings, après avoir marché sur la pointe nord de l'Amérique, n'auraient-ils pas eu l'idée de s'aventurer dans les terres du sud? Après tout, la curiosité étant ce qu'elle est, c'eut été un comportement bien naturel. Pour certains auteurs, la pièce de monnaie, découverte en 1955 par deux archéologues amateurs, sur un site indien dans le Maine, constitue une preuve suffisante de ce trajet. Expertisée en 1982, la pièce se révéla effectivement d'origine viking, battue en Norvège sous le règne d'Olaf Kyrre (1066-1093). Percée sous le bord, elle dut servir d'amulette à l'Indien qui la portait. Mais une seule piécette, qui plus est de faible valeur, prouve-t-elle que les Vikings se sont déplacés jusqu'au lieu de sa découverte? Bien sûr que non. Aucun emplacement de type scandinave n'ayant été exhumé dans les parages, il y a tout lieu de penser que cette pièce fut donnée à un Indien dans le cadre d'un troc. En 1930, on trouva à Beardmore, en Ontario, une authentique épée viking. Las! Elle y avait atterri dix ans plus tôt! Il y eut aussi la "pierre runique de Kensington", dans le Minnesota. Mais, mis à part Alf Mongé et le Dr Landsverk, tous les experts assurent qu'elle est fausse... Pour Jacques de Mahieu, "professeur à l'université de Buenos Ayres, anthropologue, économiste, sociologue, historien" (!), les Vikings sont non seulement allés jusqu'en Amérique centrale : ils ont aussi débarqué en Amazonie. L'éminent personnage a tenté des reconstitutions fabuleuses des expéditions en Amérique du sud, en faisant, page après page des rapprochements hasardeux que seul un néophyte peut confondre avec de l'érudition. Pour lui, la contestation n'est plus de mise : "en l'an 967 de notre ère, quelque 700 Vikings des deux sexes débarquèrent de sept drakkars sur le côtes du Mexique". De là, la "mythologie solaire, une organisation politique, des valeurs morales, des connaissances scientifiques et techniques et de nombreux termes danois, allemands et anglo-saxons qu'employaient encore les Indiens au début du siècle dernier"!! Le tout, naturellement, sans qu'on retrouve la moindre trace archéologique de leur passage... Le distingué professeur en viendra à considérer qu'avant Colomb, "tout le monde allait en Amérique" -tout le monde, y compris, chacun l'aura deviné, les Templiers (que diable allaient-ils faire dans cette galère!). Colomb n'aurait d'ailleurs aucun mérite : la carte de l'Amérique, il l'avait volée! L'hypothèse de voyages vikings méridionaux et équatoriaux mériterait sans doute mieux que les romans imaginés par des farfelus de ce genre. Si elle était confirmée un jour, ce qui est possible, certaines des croyances qui imprégnèrent les Précolombiens (comme l'étonnant mythe de Quetzalcoatl, le "dieu blanc barbu", dont le retour "annoncé" est censé avoir causé la perte des Mexicains) trouveraient une explication rationnelle. Encore n'est-il pas évident qu'une croyance ait besoin d'un élément positif pour naître et prospérer, ni que cette croyance ait bien été celle qu'on croit. Il faut reconnaître qu'au stade actuel des recherches, on est loin d'avoir avancé sur ce point.
Celtes, Phéniciens et... NéandertalEt avant les Vikings? Avant, on nage en pleines suppositions... Comme Heyerdhal ou Ragnar Thorseth pour les Vikings, Tim Severin a démontré qu'on pouvait traverser l'Atlantique à bord d'embarcations fragiles, comme les coracles des Irlandais du haut Moyen Age (des bateaux de peaux cousus sur une armature de bois). Mais l'exploit sportif n'est pas une garantie, d'autant plus que Severin, lui, savait où il allait... Louis Kevran a tenté de démontrer que saint Brandan, le plus célèbre "moine-navigateur" du Moyen Age, avait réellement accompli les voyages que lui imputent des récits tardifs, écrits (pour les plus proches) trois siècles après sa mort (soit au IXe siècle). Il pensait que le saint homme avait atteint l'Amérique, en cherchant le Paradis. Pourquoi pas, évidemment? Une aventure solitaire, quoi qu'incertaine compte tenu des difficultés techniques qu'elle engendre, est toujours possible et peut mener à Cuba ou aux Canaries. Mais la brume hagiographique et métaphorique qui enrobe les textes, la constante imprécision géographique qui s'en dégage (et qui, contrairement aux sagas scandinaves, laisse libre cours à toutes les fantaisies de l'esprit sans en n'assurer aucune), l'absence de faits matériels permettant d'étayer une telle expédition, sont autant d'éléments qui autorisent pour l'instant à douter de la réalité de ces voyages. Quant aux indices d'expéditions antérieures (menées par les Celtes, par exemple), c'est peu de dire qu'ils sont ténus. Quelques auteurs, dont l'esprit d'aventure n'a rien à envier aux navigateurs dont ils décrivent les pérégrinations, n'ont évidemment pas pu s'empêcher d'expliquer l'aisance des traversées transocéaniques antiques par la présence opportune du relais de l'Atlantide, en pleine océan... Il est inutile de leur répondre. Comme toujours dès qu'on aborde les rivages glissants de la reconstitution hypothétique, il y eut aussi des fraudeurs. Ainsi du fumeux Cyrus Gordon, qui, après avoir "prouvé" que les Juifs s'étaient rendus en Amérique après leur départ de Palestine, dénicha la reproduction d'un texte phénicien gravé sur une stèle de Pouso Alto, au Brésil... se gardant bien d'avertir ses lecteurs qu'il s'agissait d'un faux monumental, dont fut victime au siècle dernier le directeur du Musée national de Rio de Janeiro, le Dr Netto! Qui d'autres? Les Chinois? Les Océaniens? La voie Pacifique, au cours du Ier millénaire avant notre ère, est une hypothèse probable, à en croire les botanistes (la patate est commune à l'Amérique et à la Polynésie et le coton à l'Asie et à l'Amérique centrale et du sud). Mais quant à préciser la nature et la qualité des relations, il y a encore loin... Les vrais découvreurs de l'Amérique sont en réalité beaucoup plus anciens. Ce sont tout simplement les premiers migrants. qui ont peuplé le continent américain. On les oublie toujours. "Tout simplement" n'est d'ailleurs pas la bonne expression, puisqu'on hésite à se prononcer avec certitude sur la date exacte de leur arrivée, ainsi que sur leur origine. Rien n'est jamais simple. Jusqu'à la fin des années 80, les "spécialistes" penchaient pour un peuplement initial d'origine mongoloïde, qu'ils situaient aux alentours de -12 000. Depuis les découvertes faites au Brésil par Niède Guidon et Georgette Delibrias, les premiers explorateurs ont pris un coup de vieux : on estime maintenant qu'ils seraient venus d'Asie, mais certainement aussi de Polynésie, vers -40 000 (pendant la "glaciation de Wurm"), en traversant à pieds secs le détroit de Behring. Combien de temps durera cette datation? Certains la repoussent déjà à -70 000 ans. L'Homme de Néandertal, premier prédécesseur de Colomb?
Paul-Éric Blanrue Hors-textes :
La Vigne ou les Prairies ?Pour mieux repousser l'idée d'une tentative de colonisation précoce de l'Amérique par les Vikings, certains auteurs ont contesté l'orig¡ne du mot "Vinland" (couramment traduit par "Pays de la Vigne") qu'on trouve dans au moins cinq sagas. La vigne sauvage ne serait pas possible sous de telles latitudes! Il faudrait lui préférer une acception plus sage, celle de "Pays des Prairies". Tout est une question de "i" : si c'est un "i long", c'est bien la vigne, si c'est un "i bref", il faut traduire par "prairies". L'histoire de la vigne rappelerait "trop" celle qu'on trouve dans la Bible (au pays de Chanaan). La querelle linguistique peut s'éterniser, mais une chose est sûre : la présence de la vigne en ces contrées est attestée par les reconnaissances qui y furent effectuées en juillet 1534 par l'explorateur français Jacques Cartier.
Le passé dans les cartesDes cartes réalisées avant Colomb ont-elles répertorié tout ou partie du continent américain? Vaste débat, dont la résolution expliquerait beaucoup de choses, mais qui a malheureusement été embrouillé par des mystifications et des interprétations abusives. Pour "prouver" que l'Amérique était connue depuis la plus haute Antiquité, les compères Bergier et Pauwels, du Matin des Magiciens, (le pire du pire) brandirent la "carte de Piri Reis". Pour faire bonne mesure, ils ajoutèrent que ce document n'avait pu être établi qu'à partir d'observations faites d'un engin volant! Comme l'a rappelé Jean-Pierre Adam, dans son savoureux Passé recomposé, cette mappemonde est un document de compilation réalisé au début du XVIe siècle par l'amiral de Soliman le Magnifique, à partir des cartes relevant les découvertes des Espagnols et des Portugais. La "carte du Vinland" a fait, elle aussi, couler beaucoup d'encre. L'Université de Yale, en 1965, assura avoir trouvé une carte de 1440 mentionnant l'existence du Vinland, accompagné d'une note sur Leifr et Bjarni. Une analyse chimique de l'encre, faite ultérieurement par Walter McCrone de Chicago, indiqua qu'il s'agissait d'un faux. |